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Pourquoi envisager la création de peau artificielle sensible ? Quels sont les besoins des patients ?
Les patients atteints de maladies génétiques rares de la peau souffrent dès la petite enfance de leur image corporelle, associant à la douleur physique une douleur psychologique avec altération de la construction de l'image de soi. Ces maladies sont dans la majorité des cas des maladies sévères, à début précoce et orphelines, c’est-à-dire sans traitement curatifs. Des dispositifs médicaux visant à aider la cicatrisation, prévenir de nouvelles plaies, réduire une dilatation veineuse ou assurer un drainage lymphatique, sont parfois les seuls traitements possibles. Ces dispositifs restent cependant des pansements, des bandes, des collants difficiles à vivre au quotidien chez des enfants en pleine croissance. Ils peuvent entraver et retentir sur la motricité. Ils sont visibles, « affichants », créent une barrière avec le monde extérieur, frontière supplémentaire à celle créé par la maladie elle-même : aucun contact de peau à peau possible avec diminution, voir perte de toute sensibilité et sensorialité cutanée, stigmatisation du jeune patient au quotidien : ce qui recouvre voir cache la maladie et affiche la différence en permanence.
L’étude pilote, d’une durée de deux ans, financée en partie par l’Institut Imagine, a pour objectif de développer de nouvelles solutions thérapeutiques. Des peaux artificielles sensibles seront développées, afin de pallier aux dispositifs actuels considérés comme agressifs par les patients. Il sera question d’accroître leur puissance sensible tout en leur apportant une dignité esthétique. En plus du confort que représente un tel dispositif, le patient ne sera plus tributaire d’une tierce personne et accéderait ainsi à plus d’autonomie. Ces peaux artificielles en silicone extrêmement fines et protectrices auront pour objectif de restaurer partiellement le toucher perdu des patients, afin qu’ils puissent de nouveau avoir un contact physique avec leurs proches et leur environnement.
Comment est né ce projet ?
Mes premières réflexions ont été initiées au cours de mon mémoire et de mon projet de fin d’étude. Au travers de différents dispositifs (réalité virtuelle, docu-fiction, sculpture…) j’ai souhaité explorer les frontières du corps face aux nouvelles implications de la biologie synthétique. Aujourd’hui, je m’intéresse aux stratégies mises en place pour réaliser un soin indispensable en intégrant les notions d’efficacité, mais aussi d’intégrité physique, sociale et d’estime de soi, et ce spécifiquement lorsque la technologie pénètre le corps pour s’hybrider avec lui.
Depuis 2018, je collabore avec Arthur Tramier au sein d’EnsadLab, le laboratoire de recherche des Arts Décoratifs dans le groupe de recherche Symbiose sur la recherche de matériaux souples émergents dont les états s’adaptent au corps et à l’environnement. Ces approches nous ont conduits à mieux explorer les interactions entre l’humain et son milieu. L’épiderme est une zone de trafic en perpétuelle interaction avec des éléments questionnant la frontière entre le soi et le non-soi, le vivant et le non-vivant. Alors que notre société évolue et se modernise à travers de nouvelles technologies toujours plus perfectionnées et de plus en plus intrusives, je m’intéresse davantage à développer des surfaces sensibles qui permettent d’accompagner le corps, soulevant des questions liées à l’intime et à l’environnement.
Ma rencontre avec l’Institut Imagine a été initiée par Christine Bole, membre de la plateforme génomique et Patrick Renaud, designer et chercheur à EnsadLab permettant ainsi d’établir des interactions entre design et santé. Par ce biais, j’ai pu interagir avec différents médecins dont Guillaume Canaud, spécialiste du syndrome de Cloves et Christine Bodemer, responsable du centre de référence sur les génodermatoses, dont le syndrome de Cloves et les maladies avec fragilité cutanée. Chez les patients atteints du syndrome de Cloves, des excroissances se développent de manière anarchique dans certaines parties du corps, allant jusqu’à mettre en péril le fonctionnement d’organes proches. Les patients atteints de maladies génétiques avec fragilité cutanée ont des décollements de peau qui peuvent se comparer à ceux de grands brulés, mais qui récidivent de manière chronique. Chez tous ces patients, et ce depuis la petite enfance, en l’absence de traitements médicaux, des dispositifs à type de pansements étendus, de bandes de contentions sont indispensables et efficaces mais considérés comme agressifs aux plans physique et social par les patients, le dispositif devenant plus « excluant » que la maladie elle-même. Lors de nos échanges, nous avons rapidement fait une connexion entre mes projets antérieurs et le potentiel qu’ils pouvaient offrir pour développer de nouveaux dispositifs de soin.
Comment travaillez-vous avec les patients ?
Ce projet a pour objectif de faciliter leur quotidien. Ils doivent donc être pensés avec et pour eux. Mon souhait est de pouvoir les aider à réinvestir leur organe peau de façon positive : vivre « avec » et non pas « malgré » leur handicap corporel.
Dans un premier temps, notre équipe va interagir avec deux groupes de trois patients, un premier groupe atteint du syndrome de Cloves et un second groupe atteint de fragilité cutané. Les perceptions et les sensations des utilisateurs (à la fois patients et usagers, mais aussi médecins, parents…) permettront de faire évoluer les prototypes durant tout le long de l’étude. Dans un second temps, comme tout dispositif médical, ces secondes peaux devront faire l’objet d’un essai clinique.
C’est seulement une fois ces étapes franchies qu’ils pourront être déployés à plus grande échelle, notamment dans le cadre d’autres pathologies. Ce projet, financé dans le cadre d’une Bourse Innogrant, bénéficie de subventions accordées par l’Institut Imagine pour les projets à fort potentiel de transfert industriel.
L’acceptation par les patients de ces technologies est au cœur de la problématique. J’envisage donc également de les adapter – couleur de peau, texture etc – avec eux, et de développer des logiciels pédagogiques. Le suivi de cohorte d’enfants atteints de ces maladies rares incite à repenser leur prise en charge quotidienne et à dépasser la seule notion de performance médicale, en intégrant celle de réduction de leur fardeau individuel lié à la maladie et leurs traitements.
Ce projet intitulé Les Peaux Ethiques est un projet unique, ne serait-ce que par les instituts de recherche qu’il associe : le laboratoire de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (EnsadLab), le centre de référence des maladies rares de la peau et des muqueuses d’origine génétique (MAGEC) qui fait partie de l’Institut des maladies génétiques Imagine et l’Hôpital Necker Enfants Malades AP-HP, PSL Research University et l’Institut Carnot MICA.
Le projet Peaux éthiques représente la synthèse entre ma pratique et les différents projets auxquels j’ai pu participer durant mon parcours de designer. Lors de mes études aux Beaux-Arts puis aux Arts-Décoratifs de Paris, je combinais la narration avec la science pour créer des dispositifs sur la manière dont les technologies affectent les humains et leurs comportements. Ma pratique s’articule essentiellement à la frontière liant le corps à la technologie et la peau représente la première barrière entre le dedans (ce qui nous appartient) et le dehors (ce avec quoi on interagit)
La co-direction de thèse est assurée par le Dr HDR Emmanuel Mahé, Directeur du laboratoire SACRe EA 7410 (PSL) et directeur de la recherche de l’EnsAD, le Pr Christine Bodemer (MD, PhD), chef de service de dermatologie à l’Hôpital Necker Enfants Malades AP-HP et coordinatrice du centre de référence des maladies rares de la peau et des muqueuses d’origine génétique, et Patrick Renaud, designer coordinateur du groupe de recherche Symbiose d’EnsadLab. L’encadrement par ces différentes équipes, rend compte de la volonté partagée d’une intégration concrète à la recherche clinique translationnelle, d’une recherche issue de la robotique molle combinée aux biotechnologies et aux matériaux programmables, avec au-delà de l’efficacité technique une réappropriation par le patient de son image corporelle et de son rapport aux autres.