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Au cours du développement embryonnaire, le cortex cérébral se forme par des processus biologiques hautement régulés, qui vont former 6 couches distinctes de neurones spécialisés selon leur localisation. Parmi les composants cellulaires régulant ce développement, le laboratoire « Génétique et développement du cortex cérébral », dirigé par Alessandra Pierani à l’Institut Imagine et à l’Institut de Psychiatrie et de Neuroscience de Paris, avec leurs collaborateurs français et internationaux (italiens, suédois, britanniques, japonais) se sont intéressés à la protéine Reeline (ou RELN), une protéine sécrétée par les cellules de Cajal-Retzius, les premiers neurones générés lors du développement embryonnaire. Bien que RELN soit étudiée depuis près de trois décennies, ses fonctions ne sont toujours pas claires. D'une part, il est proposé qu'elle agisse comme un signal d'attraction pour certains types de neurones, et d'autre part, on pense qu'elle sert de signal de « détachement et de stop » pour les neurones en migration proches de leur destination.
Des mutations récessives du gène RELN ont déjà été observées chez des patients présentant des lissencéphalies sévères (absence de gyrations du cortex donnant un aspect totalement lisse au cerveau), des troubles majeurs du neurodéveloppement caractérisés par une malformation du cortex cérébral. Dans un article récemment paru dans le journal scientifique JCI, les équipes de recherche ont identifié et caractérisé de nouvelles mutations hétérozygotes de RELN chez 6 patients présentant d’autres malformations du cortex, notamment de type polymicrogyries (excès de gyrations et sillons peu profonds) ou pachygyries (diminution du nombre de gyration et cortex d’aspect plus lisse).
Les équipes ont caractérisé fonctionnellement chaque variant par une série de tests, en culture et dans le cortex cérébral de la souris ou du poisson en développement, pour évaluer l'impact de ces différents variants sur la fonction de RELN et leur capacité à remplir correctement leur rôle dans le développement du cortex cérébral embryonnaire. Les protéines mutées régulent-elle encore correctement la migration neuronale ?
En évaluant la pathogénicité des formes mutées, les chercheurs ont démontré que tous ces variants interfèrent avec plusieurs mécanismes de régulation du développement du cortex. Ils ont pu mettre en évidence que les mutations associées à la polymicrogyrie se sont comportées comme un « gain de fonction », montrant une capacité accrue à attirer les neurones, tandis que celles liées à la pachygyrie se sont comportées comme une perte de fonction, conduisant à une migration neuronale défectueuse. Chez ces patients, ils ont également observé une diminution de la sécrétion de la Reeline, qui ne peut alors remplir son rôle de signal à distance des neurones qui la synthétisent. Cette diminution de la sécrétion se traduit par des conséquences structurales observées in vivo chez la souris et in vitro sur les cellules en cultures, confirmant le rôle essentiel de la forme sécrétée de RELN dans la correcte architecture du cortex.
Enfin, les équipes avancent pour la première fois la preuve, dans des expériences in vitro, des modèles animaux et chez les patients, que les mutations de RELN étudiées peuvent empêcher la sécrétion et donc l’action de la Reeline normale (on parle d’un effet dominant négatif). Leurs résultats indiquent que les défauts de sécrétion et de fonction de la Reeline sont responsables de troubles de la migration neuronale, montrant pour la première fois l'implication des mutations RELN hétérozygotes dans l’apparition des malformations du cerveau.
Ces travaux apportent des informations précieuses sur la pathogenèse des troubles du développement du cortex cérébral et du rôle crucial de RELN dans ces mécanismes. Ils établissent un lien entre type de mutation du gène RELN et le phénotype de malformation corticale, permettant ainsi d’envisager une prise en charge différentielle et adaptée selon la mutation portée par les patients.
Référence : De novo monoallelic Reelin missense variants cause dominant neuronal migration disorders via a dominant-negative mechanism
Riva et al., JCI, 2024
Contact :
Nadia Bahi-Buisson, Institut Imagine et IPN Paris
Alessandra Pierani, Institut Imagine et IPN Paris