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Souvent associées à des polyhandicaps, les maladies génétiques ouvrent tout un champ de questionnements sur la place des personnes malades dans nos sociétés, les moyens à mettre en œuvre pour vivre avec la maladie et ensemble, avec la famille et bien au-delà. « Accompagner les familles dans la maladie fait partie des missions de l’Institut Imagine », explique Laure Boquet, co-responsable du programme Sciences Humaines et Sociales à Imagine dont l’objectif est d’améliorer le parcours de vie des patients, de leurs familles, et de leurs proches, depuis la recherche de diagnostic jusqu’à la prise en charge et le suivi, mais aussi de réfléchir sur les conséquences de la maladie.
En 2019, Imagine a lancé et financé un appel à projets visant à améliorer la qualité de vie des patients. 3 lauréats ont été sélectionnés, parmi lesquels celui de Stéphanie Smadja, maître de conférences HDR en linguistique et stylistique à l’Université de Paris, en collaboration avec le Docteur Célia Crétolle et Giulia Disnan, respectivement coordonnatrice et psychologue clinicienne du centre de référence pour les malformations ano-rectales et pelviennes rares (MAREP) de l’hôpital Necker-Enfants malades. Leur projet, qui a débuté en septembre 2020, vise à étudier la parole intérieure d’enfants atteints de malformations ano-rectales, pelviennes rares et/ou médullaires terminales suivis au sein de ce centre et celle de leur entourage, afin de mettre en valeur les représentations qui se cristallisent autour de ces malformations.
Des maladies handicapantes
Chaque année, plus de 500 enfants naissent avec une malformation de l'intestin terminal, parmi lesquelles les malformations ano-rectales ou les maladies de Hirschsprung. Dues à une anomalie du développement de la partie caudale de l'embryon, elles sont parfois associées à d'autres malformations (moelle épinière notamment) et peuvent avoir des répercussions sur le fonctionnement de l'appareil digestif et/ou urinaire.
Pris en charge dès les premiers jours de vie et opérés très tôt, ces enfants conserve toutefois pour la moitié d'entre eux une incontinence fécale, un handicap qui affecte gravement leur qualité de vie. Comment les enfants atteints de ces maladies rares les vivent-elles intérieurement ? Quelles représentations la maladie suscite-t-elle chez autrui dans la vie quotidienne ? C’est pour répondre à ces questions que, dans le cadre de son programme SHS, l’Institut Imagine a décidé de financer le projet « Le langage intérieur d’enfants atteints de MAREP : douleur, handicap et qualité de vie » de Stéphanie Smadja.
Une étude pilote pour comprendre l’impact d’une maladie génétique
« Le premier versant de cette étude concerne les représentations intérieures, les émotions et les tabous qui entourent les enfants dans leur vie quotidienne, » explique Stéphanie Smadja. Cette enquête est menée chez eux, à l’hôpital et à l’école, si les conditions sanitaires le permettent, afin de mettre au jour leur qualité de vie dans ces différents cadres. Les enfants atteints de malformations ano-rectales, et parfois plus largement, pelviennes, se heurtent parfois, notamment en milieu scolaire, à des difficultés liées à des non-dits et des tabous (le sale, le bas corporel, l’impur). Les ajustements matériels ou comportementaux ne se font pas toujours dans le meilleur intérêt de l’enfant. De plus, la douleur psychique de ces jeunes patients demeure difficile à cerner. Qu’est-ce que ces enfants nés avec ces malformations s’en disent à eux- mêmes ? Qu’en disent-ils à autrui ? Les membres de l’équipe MAREP n'ont qu'indirectement et partiellement accès à cette souffrance dans leur travail au quotidien auprès des patients depuis 13 ans, par l’écoute d’une souffrance intime difficile à mettre en mots, par les freins observés à l’intégration scolaire et sociale imposés par les tabous qui entourent les MAREP, par le dialogue parfois difficile avec les écoles, où seul le handicap visible permet une prise en charge reconnue et protocolisée.
Le deuxième versant du projet se fonde sur un protocole à visée thérapeutique : se dire, pour soi seul ou pour autrui, peut déjà en soi être source de bien-être. De plus, dans le cadre du programme Monologuer, ont été mis au point des protocoles de linguistique clinique à visée thérapeutique et combinant des approches multimodales du langage intérieur et des pratiques artistiques impliquant le corps. La linguistique clinique n’est pas reconnue en France, d’un point de vue institutionnel, mais elle existe dans d’autres pays. Son déploiement nous apporterait beaucoup, au-delà de la seule question des troubles du langage. Notre pari est de l’intégrer pleinement à des parcours de soins hospitaliers. En cela, nous ne pouvons que suivre Benveniste pour qui les fonctions du langage « sont si diverses et si nombreuses que cela reviendrait à citer toutes les activités de parole, de pensée, d’action, tous les accomplissements individuels et collectifs qui sont liés à l’exercice du discours : pour les résumer d’un mot, je dirais que, bien avant de communiquer, le langage sert à vivre. »
Pour en savoir plus sur Stéphanie Smadja
Stéphanie Smadja est maître de conférences HDR à l’université de Paris en linguistique et en stylistique. Elle travaille sur les innovations stylistiques en prose aux xixe-xxie siècles et sur le langage intérieur entre art et vie réelle (formes, fonctions, troubles). Elle œuvre, en linguistique clinique, à la création de thérapies endophasiques.
Responsable du programme Monologuer, elle vient de publier trois essais aux éditions Hermann :
- Le Langage intérieur. Se parler à soi-même, se (re)construire et être
Comment est-ce que je pense ? Pourquoi est-ce que je me parle ? Cet essai est destiné à tous ceux qui s’interrogent sur ces mots et ces images qui nous traversent l'esprit. Il résume l’avancée des recherches sur le langage intérieur et aborde des questions nouvelles, d’actualité, telles que « se parler en temps de crise » (chapitre cinq).
De la parole intérieure concentrationnaire au discours intérieur amoureux, en passant par les thérapies endophasiques en parcours de soin hospitaliers, le lecteur est invité à une exploration de l’invisible de la parole. Chaque jour, les mots que l’on se dit occupent entre 10 et 90% de nos pensées conscientes et une part inconnue de nos rêves et de notre subconscient. Le langage intérieur sous-tend nos échanges avec autrui, nos représentations du monde, notre rapport à nous-mêmes comme aux autres. Il joue un rôle fondamental, souvent ignoré, dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne (perceptions, émotions, prise de décision, mémoire). Bien plus, ce langage à soi ouvre en réalité à un au-delà de soi. Entre fonctions positives et fonctions négatives, formes courtes ou longues, le langage intérieur varie d’un individu à l’autre et révèle notre être même. Comprendre nos schémas intérieurs nous permet de mieux nous comprendre mais aussi d’améliorer notre façon de communiquer avec autrui, nos choix de vie. En période ordinaire, il est fondamental de savoir prendre le temps de s’écouter. En période de crise, l’enjeu est crucial. Se parler pour apprendre à se dire, à se construire et se reconstruire. Au cœur de nos essentiels, se parler pour être et vivre les yeux ouverts.
- Les Troubles du langage intérieur. Vers une linguistique clinique
- La Parole intérieure. Qu'est-ce que se parler veut dire
Elle est également co-auteur, avec Catherine Paulin, de La Parole intérieure en prison et Paroles intérieures de migrantes.
Deux essais seront publiés prochainement et peuvent être commandés via des bons de souscription : Pour une grammaire endophasique, volume 1 et 2.