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Démontrer l’origine génétique des maladies infectieuses, c’est le leitmotiv qui anime l’équipe de recherche de Jean-Laurent Casanova* depuis sa création il y a plus de 20 ans. A l’issue de sa licence et dès sa rencontre avec le médecin-chercheur, Emmanuelle Jouanguy – aujourd’hui directrice de recherche Inserm à l’Institut Imagine – a été enthousiasmée par son dynamisme et la clarté de sa vision scientifique. Car, à l’époque, aucune preuve ne venait étayer sa théorie. Depuis, les preuves se sont accumulées et Emmanuelle Jouanguy a contribué à l’identification de gènes dont le défaut de fonctionnement induit une extrême sensibilité à une bactérie ou un virus spécifique.
La recherche, comme une évidence
Bien que le monde de la recherche attire Emmanuelle Jouanguy depuis le lycée, elle préfère effectuer un BTS d’analyses biologiques en première instance pour s’assurer un emploi, avant de retourner à l’université pour faire une licence. C’est au cours de celle-ci qu’elle rencontre Jean-Laurent Casanova, jeune médecin qui vient de finir sa thèse de science, et ainsi que débute une collaboration qui dure depuis 26 ans maintenant. « J’ai tout de suite senti que j’allais apprendre beaucoup, mais aussi qu’il allait me pousser à développer tout mon potentiel, » se remémore la chercheuse. Après avoir passé plusieurs mois sur un projet de recherche fondamentale, rapidement ses travaux s’orientent vers un syndrome rare : le syndrome de prédisposition mendélienne aux infections mycobactériennes (MSMD). « Tout est parti d’une interrogation, explique la chercheuse. Nous voulions savoir pourquoi certains enfants développent une susceptibilité anormale à des mycobactéries peu virulentes pour le reste de la population, comme le vaccin BCG par exemple. » Sans signe apparent du moindre déficit immunitaire, des enfants décèdent à la suite d’une simple vaccination au BCG.
« En se basant sur la littérature, un certain nombre de gènes de l’immunité paraissaient être de bons candidats pour être responsable de cette pathologie, enchaîne Emmanuelle Jouanguy. Nous avons donc focalisé nos recherches sur ceux-ci et cette intuition était la bonne puisque nous avons montré qu’une mutation du gène codant l’interféron-γR1 était incriminée. »
Ensuite les résultats s’enchaînent mettant en évidence toujours plus d’infections se développant chez des patients prédisposés génétiquement. C’est un peu comme si le terrain favorisait certaines infections. « Nous avons été les premiers à décrire les maladies infectieuses comme étant également des maladies génétiques, ce qui a ouvert une nouvelle porte pour aider les familles et les patients, » explique Emmanuelle Jouanguy.
Des bactéries aux virus
A l’issue de son doctorat, Emmanuelle Jouanguy part effectuer son post-doctorat à Strasbourg dans le laboratoire de Jules Hoffmann, spécialiste de l’immunité chez la drosophile qui se verra décerné le Prix Nobel de médecine en 2011. Elle s’y consacrera à développer un modèle d’étude de la réponse antivirale chez cette mouche, modèle fort utile pour comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents.
De retour dans le laboratoire de Jean-Laurent Casanova qu’il vient tout juste de créer, la jeune chercheuse met à profit son savoir sur les virus pour savoir si un terrain génétique peut favoriser les formes cliniques sévères associées. « Dans le cas des infections par l’Herpès simplex virus 1 (HSV1), les formes bénignes se traduisent par un bouton de fièvre. Certaines personnes vont développer des formes invasives, qu’elles soient cérébrales ou hépatiques. Nous avons montré que chez des enfants porteurs d’un défaut génétique affectant la voie TLR3-IFN de type I, la réplication virale n’est plus contrôlée au niveau cérébral et cela se traduit par une encéphalite herpétique, une atteinte cérébrale très sévère. » Suite à ce premier projet « viral », Emmanuelle Jouanguy s’est intéressée à d’autres infections virales, telles que l’épidermodysplasie verruciforme, maladie rare liée à certains papillomavirus (HPVs) en étroite collaboration avec le Pr Gérard Orth, pionnier dans la découverte des HPVs, ou l’hépatite virale fulminante.
« La recherche, c’est un métier de communication, de collaborations, échanges »
Depuis, le laboratoire a mis en évidence que d’autres infections virales, et notamment la grippe, pouvaient être beaucoup plus agressives du fait d’une prédisposition génétique. « La preuve était faite que les infections virales peuvent aussi être des maladies génétiques, précise Emmanuelle Jouanguy. L’ensemble de ces découvertes sont le fruit d’un formidable travail d’équipe. La recherche, c’est un métier de communication, de collaborations, et d’échanges, à partir desquels on affine sa façon de voir les choses, d’appréhender la question posée. »
Aujourd’hui, Emmanuelle Jouanguy s’est lancée dans un nouveau défi : mieux comprendre la réponse immunitaire des différents tissus au même virus. « Il y a en effet des virus avec des tropismes tissulaires spécifiques comme par exemple le virus de l’hépatite A qui n’infecte que le foie, alors que l’herpès (HSV1) peut donner des manifestations cliniques dans plusieurs tissus (cerveau, foie, ou peau), souligne-t-elle. Dans le cas d’infections par HSV1, les défauts génétiques que nous avons identifiés n’expliquent la sévérité qu’au niveau cérébral et pas au niveau hépatique ou cutané. La nature de la réponse immunitaire mise en place au cours d’une infection virale est donc liée au virus mais semble aussi lié au tissu atteint. » Un nouveau pan du monde de l’immunité à déchiffrer.
*Aujourd’hui Jean-Laurent Casanova est professeur à l’Université Paris Descartes/Hôpital Necker Enfants Malades (AP-HP), et professeur à l’Université Rockefeller/Howard Hughes Medical Institute à New York. Il est avec Laurent Abel le fondateur du Laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses, laboratoire international de l’Inserm organisé en deux branches, l’une située à l’université Rockefeller à New York et l’autre à l’institut Imagine à Necker, à Paris.