Publié le
Quand génétique éclaire les maladies infectieuses…
« Nous avons récemment découvert que les personnes homozygotes, c’est à dire avec les deux copies d’une mutation assez commune du gène TYK2 – celle héritée de la mère et celle du père –, étaient plus vulnérables à la bactérie à l’origine de la tuberculose, » rappelle Laurent Abel. La fréquence de ces homozygotes est de l’ordre de 1/600 en Europe, et de 1/5000 dans la plupart des autres régions en dehors de l’Asie du Sud-Est où elle est très rare.
En recourant à une cohorte britannique de plus 500 000 personnes, appelée UK Biobank, les chercheurs ont pu explorer plus en détail les liens entre la tuberculose et ce gène. « Cette biobanque est une formidable source d’informations puisqu’elle fournit l’historique médical et les données génétiques de 500 000 volontaires britanniques âgés de 40 et 69 ans, recrutés entre 2006 et 2010, » s’enthousiasme Gaspard Kerner, doctorant dans l’équipe. Ils ont ainsi identifié dans cette cohorte 620 personnes ayant eu la tuberculose.
La fréquence de l’homozygotie du gène TYK2 est de 1% chez les personnes touchées par la tuberculose contre 0,2 % chez les autres. « Dans cette population homogène, 1% des cas de tuberculose peuvent donc être imputés à l’altération des deux copies du gènes TYK2, » résume le Pr Jean-Laurent Casanova. La génétique semble dans ce cas pouvoir expliquer pourquoi une maladie infectieuse se développe chez certaines personnes et pas chez d’autres.
… et ouvre des pistes pour la médecine prédictive
Cette découverte pourrait avoir plusieurs conséquences en termes de médecine prédictive. Ne faudra-t-il pas à l’avenir rechercher cette homozygotie chez les personnes envisageant un déplacement dans des régions endémiques de la tuberculose, en Afrique, Asie du Sud-Est, ou en Amérique latine. Tant que les personnes restent en Europe où la tuberculose est pratiquement éradiquée, le risque est faible, mais dans une région où elle est très fréquente, le risque est alors conséquent.
Parallèlement, la mise au jour du mécanisme en jeu chez les patients porteurs d’une susceptibilité à la tuberculose offre des perspectives thérapeutiques. La présence de cette mutation homozygote du gène TYK2 bloque des voies de signalisation faisant intervenir l’interleukine IL-23 dont la finalité est de produire l’interféron gamma qui a une action anti-mycobactérienne. Chez les porteurs homozygotes avec tuberculose, l’injection d’interféron gamma pourrait alors être envisagée pour pallier cette déficience en complément des anti-tuberculeux classiques.
Enfin, il a également été montré que l’homozygotie pour cette mutation de TYK2 a un rôle en miroir, protecteur, contre certaines pathologies inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde ou la maladie de Crohn. Ce résultat a entraîné des études pour le développement de nouveaux traitements anti-TYK2 dans ces pathologies. Si ces traitements venaient à voir le jour, alors il faudrait prendre des précautions d’administration similaires à celles existant pour les anti-TNF pour éviter des effets secondaires liés à l’augmentation du risque de tuberculose chez ces patients.
En conclusion, Laurent Abel rappelle que depuis 2 000 ans, il est estimé que la tuberculose aurait fait environ 1 milliard de morts en Europe, et qu’en conséquence, 10 millions de ces victimes pourraient être imputables à l’homozygotie pour ce variant de TYK2.
En savoir plus sur la tuberculose
Aujourd’hui, la tuberculose est l’une des 3 maladies infectieuses majeures dans le monde, avec 10,4 millions de nouveaux cas et 1,7 millions de décès par an. Dans certains pays, un accroissement de l’incidence a été observé ces dernières années, notamment en raison du risque accru de développer cette infection chez les porteurs du VIH. Par ailleurs, de plus en plus de cas de résistance aux traitements par antibiotiques sont également à déplorer, ce qui rend les recherches d’alternatives thérapeutiques d’autant plus cruciales. Et elles découleront d’une meilleure connaissance des mécanismes de la maladie.
Homozygosity for TYK2 P1104A underlies tuberculosis in about 1% of patients in a cohort of European ancestry
Gaspard Kerner, Noe Ramirez-Alejo, Yoann Seeleuthner, Rui Yang, Masato Ogishi, Aurélie Cobat, Etienne Patin, Lluis Quintana-Murci, Stéphanie Boisson-Dupuis, Jean-Laurent Casanova, and Laurent Abel
PNAS first published May 8, 2019 https://doi.org/10.1073/pnas.1903561116