Un procédé innovant pour optimiser la greffe de cellules souches sanguines

L’équipe d’Isabelle André, directrice du laboratoire de lymphohématopoïétique humaine, à l’Institut Imagine et directrice de recherche Inserm, a mis au point un nouveau procédé de thérapie cellulaire. L’objectif ? Réduire le temps de vulnérabilité immunitaire après une greffe et éviter les rejets. Ces travaux ont été publiés le 11 juin 2021 dans la revue Cellular & Molecular Immunology. Deux essais cliniques pilotés par l'AP-HP visant à tester cette approche viennent par ailleurs de démarrer : le premier auprès d’enfants atteints d’une immunodéficience sévère d’origine héréditaire (les enfants bulles), le second auprès de patients adultes atteints d’une leucémie myéloïde aigüe. Un troisième essai est prévu aux Etats-Unis. Il est piloté par la startup « SmartImmune », créée en 2017 au sein d’Imagine.

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Accélérer la recherche

La greffe de moelle osseuse est souvent le traitement préconisé pour soigner les patients atteints d’un syndrome d’immunodéficience héréditaire (les enfants bulles) ou d’une leucémie myéloïde aigüe (un cancer du sang et de la moelle osseuse). Cette greffe consiste à prélever des cellules souches sanguines – dites hématopoïétiques – dans la moelle osseuse de donneurs sains avant de les injecter au patient. Ces cellules se différencient alors en globules rouges, plaquettes et lymphocytes fonctionnels, remplaçant in fine les cellules sanguines malades. 

Problème : « les cellules gardiennes de notre immunité, les lymphocytes T, mettent beaucoup plus de temps que les autres à reconstituer un stock fonctionnel : plusieurs mois chez l’enfant et jusqu’à deux ans chez l’adulte », déplore Isabelle André, directrice du laboratoire de lymphohématopoïèse humaine, à l’Institut Imagine. Pendant cette période critique, le patient est extrêmement vulnérable et peut être la cible d’infections virales sévères, parfois mortelles et de rechutes de son cancer.

Cette inertie s’explique par le processus même de production lymphocytaire après une greffe. Celui-ci débute dans la moelle osseuse, où chaque cellule souche hématopoïétique donne naissance à des précurseurs des lymphocytes T appelés « progéniteurs ». Ces progéniteurs migrent ensuite vers le thymus, un organe situé au-dessus du cœur, où ils se différencient en lymphocytes T et apprennent à reconnaître les agents pathogènes : tumeurs, cellules infectées etc. De ce fait, la réserve de lymphocytes T met du temps à se constituer.

Multiplier par 10 le renouvellement des lymphocytes T après une greffe

Or, dans une nouvelle étude publiée le 11 juin 2021 dans la revue la revue Cellular & Molecular Immunology, Isabelle André et son équipe décrivent un procédé de mise en culture cellulaire permettant de réduire significativement ce délai. De quoi atténuer les risques d’infection. Leur approche consiste à injecter aux patients des progéniteurs en lieu et place des cellules souches hématopoïétiques. Ce qui demande de les produire en nombre suffisant. Pour ce faire, ils ont mimé in vitro le processus biologique de production des progéniteurs et l’ont optimisé. 

« Jusqu’à présent, chaque cellule souche permettait d’engendrer moins d’une dizaine de progéniteurs seulement, ce qui n’était pas suffisant pour des applications cliniques, en particulier chez l’adulte, explique la chercheuse. Or, nous avons trouvé le moyen de multiplier par dix ce nombre en ajoutant une protéine appelée TNF-α à notre milieu de culture qui, par ailleurs, avait déjà fait l’objet d’un dépôt de brevet en 2018 ». Résultat : le renouvellement du stock lymphocytaire après une greffe est jusqu’à dix fois plus rapide.

Les patients pourraient se passer de traitements immunosuppresseurs lourds
 

Isabelle André
,
directrice du laboratoire de lymphohématopoïèse humaine

Ce procédé innovant a une autre vertu : il offre la possibilité de faire de la thérapie génique sur les progéniteurs. « On pourrait armer les progéniteurs pour les rendre tolérants aux greffes d’organes et ainsi éviter les rejets, prévoit Isabelle André. Les patients pourraient alors se passer de traitements immunosuppresseurs lourds qui, à long terme, peuvent déclencher des cancers. » Par ailleurs, cette thérapie cellulaire cible des mécanismes universels. Elle pourrait donc être étendue à toutes sortes de greffes ainsi qu’à d’autres pathologies. 

Deux essais cliniques viennent de démarrer pour tester cette approche. Le premier inclut des patients avec un syndrome d’immunodéficience héréditaire sévère. Il est coordonné par Despina Moshous, Professeur des universités-praticien hospitalier dans le service d’Immunohématologie et rhumatologie pédiatriques, à l’Hôpital Necker-Enfants Malades AP-HP. Les greffons, eux, sont préparés dans le Laboratoire de Thérapie Cellulaire et Génique, au sein du Département biothérapie de l’Hôpital Necker Enfants malades AP-HP, dirigé par Pr. Marina Cavazzana. Le second essai est dédié aux patients atteints d’une leucémie myéloïde aigüe. Il est piloté par Pr. Olivier Hermine, directeur du laboratoire d’hématologie de l’Institut Imagine et chef du service d’Hématologie adultes à l’Hôpital Necker-Enfants Malades AP-HP. Un troisième essai est prévu aux Etats-Unis. Il sera mis en place par SmartImmune, jeune pousse fondée en 2017 par Isabelle André, Marina Cavazzana et Karine Rossignol.

Pour Isabelle André, « tous ces essais cliniques sont l’accomplissement de plus de quinze ans de recherches initiées en 2005, avec un budget global de près de dix millions d’euros, et une jolie équipe derrière ». Ce projet illustre parfaitement la boucle vertueuse prônée par l’Institut Imagine : partir du patient pour alimenter la recherche, identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, les mettre en œuvre puis retourner vers le malade.