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Quelques grains de sable peuvent changer une vie. Dans le cas d’Audrey Desgrange, ces grains auront suffi à semer une graine dans son esprit. Devenir chercheuse ? Et pourquoi pas ! « Au collège, aux Sables d’Olonne, je faisais partie d’un atelier scientifique qui visait à nous faire développer des expériences autour des propriétés physiques du sable, se souvient-elle. Nous avons ainsi participé à l’événement européen Exposcience et à la Fête de la science. C’est là que j’ai rencontré un chercheur pour la première fois ». Ce dernier était spécialiste de l’avancée des dunes à l’Université de Rennes. Cette rencontre avec le monde scientifique sera un déclic et ira bien au-delà de cet événement puisqu’Audrey et ses camarades seront invités à participer à une mission scientifique en Mauritanie. La mission ? Etudier l’influence de différentes plantes sur la dynamique du déplacement des dunes. « C’était une expérience incroyable. Je me rappelle m’être dit que le métier de chercheur était vraiment concret. Que ces gens-là non seulement se posaient des questions, mais aidaient aussi les gens. » C’est ainsi qu’Audrey choisit d’épouser une carrière scientifique.
Une rencontre décisive avec Claudie Haigneré
Une autre rencontre dissipera ses derniers doutes. A l’occasion de la Fête de la science, au lycée cette fois, elle est invitée à exposer au ministère. Claudie Haigneré, ex-spationaute et alors ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies, passe la voir à son stand. « Elle m’a demandé ce que je voulais faire plus tard. Et lorsque je lui ai parlé du métier de chercheuse, elle m’a répondu cette phrase : « si c’est ce que tu veux faire, il n’y a pas de raison que tu ne puisses pas le faire ». De sa bouche, cela paraissait tout simple et couler de source », se rappelle très précisément Audrey Desgrange. S’il restait une dernière barrière mentale, celle-ci venait de sauter ! Audrey met la physique du sable de côté pour s’orienter vers la biologie.
Son envie : soigner mais surtout comprendre. Baccalauréat en poche, elle rejoint donc une fac de bio en Vendée, à l’Institut catholique des études supérieures. L’environnement est très stimulant : petites promos, beaucoup de travaux pratiques, un écosystème où se mêlent public et privé. Pendant l’été, entre sa L2 et sa L3, elle participe à iGEM, une compétition en équipe de biologie synthétique. Le projet ? Créer une horloge bactérienne qui change de couleur en fonction de l’heure. Cette expérience la fait voyager aux Etats-Unis, au MIT, où elle participe à son premier congrès. « Puis à la fin de la licence, ma professeure de biologie cellulaire m’a poussé à poursuivre mes études à Paris ».
Ce qui me fascine, c’est comment on passe d’une cellule indifférenciée à des milliards de cellules spécifiques, qui s’organisent en organes aux formes et aux fonctions si variées
Elle rejoint alors l’Université Pierre et Marie Curie où le programme est plus avancé et le niveau très relevé. Mais sa ténacité et sa passion lui font rattraper son retard. Son expérience et sa facilité dans les manips lui valent d’être remarquée par ses enseignants qui lui proposent un stage de master dans leur laboratoire de biologie du développement, au sein d’une unité de recherche dirigée par la biologiste Catherine Jessus. Audrey embraye sur un M2 de biologie du développement et poursuit en thèse dans le laboratoire de Silvia Cereghini, sur la morphogenèse rénale. Elle découvre qu’une mutation génétique entraîne des malformations sévères des tubules rénaux.
Du rein au cœur
A la fin de sa troisième année de thèse, elle plie bagage pour un laboratoire situé en Laponie, à l’Université d’Oulu, spécialisé dans l’imagerie cellulaire 3D en temps réel. Avec un collègue biophysicien, elle parvient ainsi à capturer la dynamique des cellules du rein en culture. « Cela ressemble un peu à un arbre qui bourgeonne », décrit-elle. De retour à Paris, elle soutient sa thèse et rejoint l’équipe de Sigolène Meilhac, directrice du laboratoire de Morphogenèse du cœur à l’Institut Imagine. « Ce qu’elle faisait autour de la modélisation du développement du cœur m’intéressait beaucoup et je voyais de nombreuses similitudes entre le développement du rein et du cœur qui, dans les deux cas, s’organise autour d’un tube qui se déforme, se courbe », explique la chercheuse.
En 2015, elle rejoint ainsi le laboratoire pour son post-doc. « Ce qui me fascine dans la biologie du développement, c’est comment on passe d’une cellule indifférenciée à des milliards de cellules spécifiques, qui s’organisent en organes aux formes et aux fonctions si variées, avec une robustesse incroyable. En ce qui concerne le cœur, c’est un organe particulièrement fascinant dans la mesure où il s’agit du premier organe à se former au cours de la vie embryonnaire », explique-t-elle.
Bourse L'Oréal-Unesco For Women in Science
En 2018, Audrey fait partie des 30 jeunes femmes françaises sélectionnée pour la bourse L’Oréal-Unesco For Women In Science (FWIS). « C’était une très belle expérience, se souvient-elle. J’ai rencontré là des femmes exceptionnelles qui partageaient la même vision de la vie et de la science ». Pendant une formation d’une semaine organisée dans le cadre de cette bourse, elle noue des liens très fort avec ces chercheuses aux spécialités très diverses : astrophysique, mathématiques, physique, biologie… Lors de cette formation, elles partagent leurs expériences du « syndrome de l’imposteur » qui touche souvent les femmes scientifiques, elles échangent également sur comment faire face aux remarques sexistes, etc. « Aujourd’hui encore nous avons gardé un lien très fort et continuons de nous voir régulièrement. C’est un groupe soudé, bienveillant, qui s’entraide et se soutient. Cela a été notamment le cas lorsque j’ai préparé les concours de chargée de recherche ».
« La science appartient à tous et j’estime qu’une de nos missions est d’aider le public à s’en saisir »
Succès au concours de chargée de recherche
Pendant le confinement, Audrey est en proie au doute après plusieurs tentatives infructueuses. Sigolène Meilhac, ses collègues d’Imagine, de l’Institut de Pasteur et de Jussieu ainsi que du réseau FWIS la boostent. Elle profite de l’énergie qu’elle reçoit pour se remobiliser et répéter, répéter et encore répéter pour maximiser ses chances lors des auditions à Pasteur et à l’Inserm. C’est ainsi qu’elle est retenue en 2022 à la fois par Pasteur et l’Inserm. Elle opte finalement pour le poste de chargée de recherche Inserm. Un succès qui lui permettra de considérer la suite de sa carrière avec sérénité. La prochaine étape ? Passer l’Habilitation à diriger la recherche (HDR) pour encadrer de nouveaux étudiants en thèse au sein du laboratoire, procéder en son nom à des recherches de financements pour la suite de ses recherches, et de continuer sa quête scientifique.
En parallèle, la chercheuse reste très impliquée dans la transmission de la science et l’éveil des jeunes aux carrières scientifiques, notamment les jeunes filles. Elle fait ainsi partie du comité scientifique du Musée du sable aux Sables d’Olonne. En 2019, elle est désignée, par le Ministère de la l’enseignement supérieur et de la recherche, ambassadrice des Pays de Loire pour la Fête de la Science, une manière pour elle de boucler la boucle. A l’Institut Imagine, elle est également très impliquée notamment lors des portes ouvertes. « La science appartient à tous et j’estime qu’une de nos missions est d’aider le public à s’en saisir », conclut-elle.