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C’est un de ces instants qui déterminent une carrière. Nous sommes au début des années 2000. Tour Lavoisier, sur le campus de l’Hôpital Necker-Enfants malades, Amandine Viau planche sur des cartes de restriction du gène COL4A5 (gène du collagène) dans le cadre de son stage de magistère de génétique. Ce matin-là, sa tutrice, Laurence Heidet, néphrologue pédiatre, rentre en trombe dans le laboratoire.
« Elle venait d’avoir un déclic dans le métro, se souvient la chercheuse. Elle n’a pas pris la peine d’enlever son manteau et m’a demandé de vérifier une hypothèse sur l’implication de COL4A5 dans une maladie rénale héréditaire : le syndrome d’Alport, qui touche en particulier les familles polynésiennes. » Hypothèse validée dans la foulée par l’identification d’une mutation de ce gène ! « C’était une expérience inoubliable d’assister et de participer à un moment de découverte comme celui-ci. A partir de cet instant, j’étais mordue ». Ce stage est un déclic pour l’étudiante dont la nature dynamique fait écho à l’effervescence du laboratoire et à la personnalité énergique de Laurence Heidet. C’est donc tout naturellement qu’elle s’oriente vers la recherche en génétique. En M1, elle opte pour un stage en Italie où elle travaille sur le poisson zèbre. Puis elle rejoint l’hôpital Bichat dans l’équipe de Fabiola Terzi (actuelle directrice de l’INEM) en DEA.
Nous sommes alors en 2004 et les outils numériques sont à leurs balbutiements. PubMed, puissant moteur de recherche en ligne utilisé quotidiennement par les chercheurs, n’existe pas encore. « Il existait des outils informatiques mais bien plus lents et l’on n’avait pas accès à tous les journaux. Il fallait encore commander des articles format papier à la bibliothèque ! », se souvient la chercheuse. Cette période est aussi celle des débuts de la transcriptomique et Amandine se saisit de cette nouvelle technique. « J’ai ainsi pu identifier une molécule surexprimée très précocement dans les insuffisances rénales chronique : la lipocaline 2. »
Découverte d'une protéine impliquée dans les insuffisances rénales
Une découverte qui pique à vif sa curiosité et l’encourage à tirer le fil. C’est décidé, elle poursuivra ses investigations dans le cadre d’une thèse dans le même laboratoire. « J’ai ainsi pu montrer que, non seulement cette protéine est un marqueur des lésions du rein, mais elle joue aussi un rôle actif dans la progression de ces lésions ».
Toutefois ce résultat demandait validation. Scientifique dans l’âme, Amandine Viau décide de retarder sa soutenance de thèse afin de terminer ses investigations et publier un résultat complet. De fait, il manquait une étape décisive : la validation du rôle de la lipocaline 2 chez l’animal. « Je voulais absolument terminer cela avant d’entamer un post-doc. Je ne voulais pas que quelqu’un d’autre finalise ce travail que j’avais entamé. On peut le dire : j’ai préféré faire de la bonne science plutôt que de penser à ma carrière », sourit-elle.
C’était une expérience inoubliable d’assister et de participer à un moment de découverte comme celui-ci. A partir de cet instant, j’étais mordue
Départ à Freiburg, en Allemagne
C’est donc en 2009 qu’elle soutient sa thèse et publie ses résultats dans The Journal of Clinical Investigation. Après sa thèse, elle poursuit en post-doc dans le même laboratoire. « Mais il me manquait encore une expérience internationale qui est primordiale dans la vie d’un chercheur. J’avais plusieurs options : la côte Ouest des Etats-Unis, Toronto… Mais j’ai finalement opté pour le laboratoire de Wolfgang Kühn, à Freiburg, en Allemagne. ». Elle plie bagage en 2012 et retrouve un certain Matias Simons, ex directeur de recherche à l’Institut Imagine.
Amandine Viau entend monter en compétence et souhaite maîtriser la culture de cellules en chambre de flux. Elle développe également des modèles murins de ciliopathies rénales. La chercheuse apprécie particulièrement l’organisation du laboratoire où la présence d’ingénieurs et de techniciens la décharge complétement des aspects logistiques et techniques ce qui lui permet de se concentrer sur l’essentiel : la science. « J’ai aussi beaucoup apprécié la liberté que j’avais de conduire mes recherches. Le directeur du laboratoire nous accordait beaucoup d’autonomie et militait pour que les femmes prennent plus de place dans la recherche ».
Puis c’est le retour en France. En 2016, Amandine obtient une bourse de la Fondation de la Recherche Médicale et retrouve le laboratoire de son premier post-doc afin de mettre en œuvre la culture en flux et proposer son expertise sur les modèles murins élaborés en Allemagne. De manière fortuite, elle créé un modèle murin de néphronophtise, maladie rénale héréditaire touchant le cil primaire, sorte d’antenne présente à la surface de la plupart de nos cellules, sur laquelle travaille Sophie Saunier, actuelle directrice du laboratoire des maladies rénales héréditaires, à l’Institut Imagine, et rentre en contact avec la chercheuse.
Retour aux sources
Quelques mois après la fin de son contrat FRM, en 2019, elle recontacte Sophie Saunier. Les planètes sont alignées. « C’était le bon moment car elle manquait d’un chercheur expérimenté et souhaitait développer des modèles murins de néphronophtise ». Elle rejoint donc l’Institut Imagine où elle se lance dans une course au concours. Elle vise un poste de Chargée de recherche Inserm. Mais les places sont chères et les deux premières tentatives ne sont pas les bonnes. Il y aurait de quoi se démobiliser mais ce n’est pas le genre de la maison. « Il faut s’accrocher, confie Amandine. C’est une de mes qualités : la ténacité ».
En juin 2022, le vent tourne et elle obtient le concours de Chargée de recherche de classe normale (CRCN). Pour la chercheuse, c’est un soulagement, mais surtout une reconnaissance et une condition essentielle pour faire de la bonne recherche. « Désormais, je vais prendre le temps de pousser les investigations pour faire monter les papiers plus hauts, les faire publier dans les meilleures revues », prévoit-elle. La prochaine étape ? Passer l’habilitation à diriger la recherche (HDR), embaucher un post doc, et créer un modèle de souris qui possède des caractéristiques génétiques et biologiques très proches de ce que l’on retrouve chez les patients souffrant de néphronophtise. De quoi valider l’efficacité de molécules prometteuses dans cette maladie. La route est donc toute tracée. Et la boucle bouclée, puisque près de vingt ans après Amandine confirme l’essai dans le laboratoire qui l’a vue naître.