Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin chez l’enfant : recherches, traitements et perspectives

Les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI) regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. Concernant 1 individu sur 1 000 environ dans les pays occidentaux, elles surviennent le plus souvent chez le jeune adulte, et de plus en plus dès l’enfance, avec environ 30 000 enfants et adolescents concernés en France. L’équipe de recherche sur l’immunité intestinale dirigée par Nadine Cerf-Bensussan à l’Institut Imagine, étudie les mécanismes de ces maladies, et notamment des formes monogéniques. Elle travaille étroitement avec le centre de référence des maladies rares digestives de l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP et les associations de patients.

Publié le

Accélérer la recherche

Dans la rectocolite hémorragique  l'inflammation chronique affecte exclusivement le colon. Au contraire, dans la maladie de Crohn, toutes les parties du tube digestif, de la bouche à l’anus peuvent être affectées, avec une plus grande fréquence des lésions dans la partie distale de l’intestin grêle et le colon. Les MICI résultent généralement d'une interaction complexe entre facteurs environnementaux et génétiques. Certaines formes rares peuvent être des maladies monogéniques, liées à des mutations dans un seul gène. Elles se caractérisent par leur sévérité et leur début très précoce.

Les MICI, des pathologies lourdes dues à des facteurs environnementaux et génétiques

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin provoquent des symptômes qui peuvent altérer fortement la qualité de vie  des patients: fatigue importante, diarrhées fréquentes et impérieuses, douleurs abdominales, perte d’appétit, amaigrissement, fièvre, voire inflammation articulaire, oculaire ou cutanée. Elles ont un impact considérable sur la vie quotidienne, sociale et scolaire des enfants.

L’équipe de recherche sur l’immunité intestinale de Nadine Cerf-Bensussan cherche à élucider les mécanismes moléculaires qui altèrent la barrière intestinale et provoquent une inflammation intestinale pathologique.

« Les nombreux travaux en cours indiquent que les MICI sont la conséquence d'interactions pathologiques entre le microbiote et le système immunitaire chez les individus génétiquement prédisposés » explique-t-elle. Chez ces sujets, le système immunitaire réagit excessivement contre les microbes présents dans la lumière de l’intestin, induisant inflammation et destruction de la barrière intestinale.

Un très grand nombre de variants génétiques conférant une susceptibilité aux MICI ont été identifiés. Néanmoins, chez la grande majorité des patients, leur contribution individuelle ou collective au déclenchement de ces maladies est mineure.

L’environnement et l’alimentation jouent en effet un rôle important, tout particulièrement en influant sur la composition du microbiote. Ainsi, « l’équilibre entre le microbiote et son hôte a progressivement été perturbé par les changements de l’environnement et du mode de vie survenus au cours de 40 à 50 dernières années. Dans les pays industrialisés et notamment sous l’influence d’une alimentation riche en sucres et en graisse, le microbiote a perdu de sa diversité. La proportion des bactéries aux effets naturellement anti-inflammatoires s’est réduite au profit de bactéries capables de stimuler excessivement le système immunitaire. L’inflammation physiologique qui se développe dans l’intestin en réponse à la colonisation par le microbiote bascule de ce fait progressivement vers une inflammation pathologique. Celle-ci, en retour, favorise encore la sélection de bactéries plus agressives créant un cercle vicieux qui peut finalement déclencher et entretenir une MICI ».

Identifier et comprendre les formes monogéniques

Certains cas rares mais très sévères de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin peuvent être la conséquence de l’altération d’un seul gène indispensable au bon fonctionnement de la barrière immunitaire intestinale ou à sa régulation. Ces maladies monogéniques débutent le plus souvent dès les premiers mois ou années de vie.

« Alors que les MICI sont en général des maladies de l’adulte, nous avons constaté que de plus en plus d’enfants déclenchent ces maladies très tôt dans la vie. Nous nous sommes interrogés sur l’importance des facteurs génétiques dans l’apparition de ces formes très précoces », explique Nadine Cerf-Bensussan.

Depuis six ans, l’équipe a ainsi étudié environ 500 enfants développant diarrhée et inflammation intestinale avant 6 ans et identifié 30% de maladies monogéniques.

« Celles-ci se présentent généralement de deux manières. Dans le premier cas, les lésions siègent dans la partie haute de l’intestin, simulant une maladie coeliaque. Ces formes hautes sont très souvent associées à une forte auto-immunité et à des maladies allergiques sévères. Des mutations causales sont fréquemment identifiées. Dans le second cas, la maladie affecte la partie basse de l’intestin provoquant des colites et dans certains de sévères lésions péri-anales.  Une maladie monogénique est un peu moins fréquente et surtout détectée lorsqu’il existe des lésions péri-anales. Il convient néanmoins de rechercher une maladie monogénique dans les formes à début très précoce quelle que soit leur présentation car l’identification d’un gène muté permet d’optimiser la prise en charge».

Outre un apport au diagnostic, le travail de l’équipe contribue à répertorier les gènes indispensables à la construction de la barrière épithéliale, et sa protection par le système immunitaire. L’équipe a ainsi identifié plusieurs nouvelles maladies monogéniques intestinales.

Personnaliser les traitements

Au-delà du diagnostic, l’objectif est d’améliorer le traitement des MICI.

Dans les formes monogéniques, l’identification du gène muté est une étape clé dans la prise en charge car elle permet d’optimiser la stratégie thérapeutique. Lorsque le gène muté affecte exclusivement la composante immunitaire de la barrière intestinale, de nombreuses solutions existent aujourd’hui. Dans les formes les plus graves, le système immunitaire peut être remplacé grâce à une greffe de moelle osseuse. Dans les autres formes, un nombre croissant de traitements permettent de cibler la voie de signalisation altérée, En cas de maladie monogénique affectant la composante épithéliale de  l’épithélium, les solutions thérapeutiques restent peu satisfaisantes et notre équipe a choisi de s’investir dans le développement de nouvelles approches innovantes.

Dans les formes communes de MICI, l’optimisation du traitement reste très difficile et, malgré un nombre croissant d’outils thérapeutiques, de nombreux patients sont ou deviennent réfractaires au traitement choisi. En effet les mécanismes provoquant l’inflammation varient selon les patients et « il est donc désormais clé de pouvoir identifier le mécanisme à cibler en priorité pour optimiser le traitement de chacun d’entre eux ».

Pour aider à cette stratification des formes communes de MICI, « nous nous sommes fixés le but d’établir un atlas des signatures fonctionnelles caractéristiques de chaque maladie monogénique. A terme, nous espérons qu’il pourra fournir une base de référence pour analyser les  signatures fonctionnelles des patients avec une forme commune de MICI et guider le choix du traitement."

Une complémentarité nécessaire entre chercheurs, médecins et patients

« La France est en première ligne en matière de recherche sur les maladies inflammatoires de l’intestin grâce au travail concerté de ses équipes expertes, ses centres de référence dédiés, et grâce aux associations de patients, très impliquées dans le financement des projets de recherche et dans l’accompagnement des malades », se réjouit Nadine Cerf-Bensussan.

L’Institut Imagine est un exemple de ce travail et de cette prise en charge complémentaire. Le laboratoire de recherche de l’Institut travaille étroitement avec le centre de référence des maladies rares digestives (MARDI) de l’Hôpital Necker Enfants-Malades AP-HP, coordonné par le Pr Frank Ruemmele, et en lien notamment avec l’association de patients AFA-Association François Aupetit, dont la directrice adjointe est Anne Buisson. Tous trois ont animé une conférence sur le sujet des MICI à l’occasion de la Journée Internationale des Maladies Rares le 28 février 2021.