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Pouvez-vous rappeler quelles sont les principales fonctions de l’intestin ?
NCB : L’intestin est l’organe qui permet la digestion et l’absorption des nutriments. C’est aussi une barrière qui permet de protéger l’organisme contre les très nombreux microbes et allergènes alimentaires présents dans sa lumière.
Pouvez-vous expliquer le mécanisme d’absorption de l’intestin ?
NCB : Il s’agit d’un processus complexe à travers lequel les nutriments provenant de la digestion des aliments dans la lumière de l’intestin sont transportés dans le sang ou la lymphe pour être mis à la disposition des différents tissus de l’organisme et permettre leur fonctionnement. L’absorption des nutriments a lieu dans la partie proximale de l’intestin (ou intestin grêle). La réabsorption de l’eau, qui est importante pour éviter les diarrhées, a lieu principalement dans la partie distale de l’intestin (ou côlon).
Quel rôle jouent les cellules épithéliales dans ce mécanisme d’absorption ?
NCB : Les cellules épithéliales forment une monocouche à la surface de l’intestin. Ce sont elles qui entrent les premières en contact avec les nutriments, l’eau et les minéraux mais aussi les multiples microbes présents dans la lumière de l’intestin. Leur pôle apical est spécialisé pour favoriser l’entrée des nutriments et réguler de façon précise les flux d’eau et d’électrolytes. Ce pôle présente une « bordure en brosse» faite de multiples replis de la membrane qui borne chaque cellule. Ces replis appelés microvillosités permettent d’augmenter de façon importante l’efficacité de l’absorption. En effet, ces replis/microvillosités contiennent des transporteurs spécialisés dans l’entrée des différents nutriments ainsi que des «pompes» qui régulent les mouvements d’eau et d’électrolytes (sodium, potassium, chlore…).
Une fois entrés dans les cellules épithéliales, les nutriments peuvent être transportés au pôle basal des cellules épithéliales et pénétrer ensuite dans le sang, à travers les nombreux vaisseaux sanguins et lymphatiques présents dans le tissu de soutien sur lequel reposent les cellules épithéliales.
En quoi la mutation du gène STXBP2 (liée à la protéine Munc 18-2) affecte-t-elle ce mécanisme d’absorption ?
NCB : STXPB2 est le gène qui code pour la protéine Munc 18-2. La mutation de STXPB2 empêche le ciblage des molécules nécessaires à la formation du pôle apical des cellules épithéliales. Elle gêne ainsi la formation de la bordure en brosse et l’insertion dans cette bordure de plusieurs des transporteurs et des « pompes » nécessaires à l’absorption des nutriments et la régulation des mouvements d’eau et d’électrolytes. Les altérations de la bordure en brosse dépourvue de certains transporteurs et des pompes expliquent la diarrhée intraitable et la malabsorption sévère induites par les mutations génétique STXPB2 liées à la maladie de LHF.
Quelles sont les autres maladies qui présentent un déficit d’absorption ? En quoi sont-elles similaires ou différentes de la mutation génétique STXBP2 (Munc 18-2) ?
NCB et GM : Il existe de très nombreuses maladies pouvant conduire à un défaut d’absorption.
C’est le cas notamment :
- des infections gastro-intestinales par des bactéries ou des virus.
- de maladies liées à une activation excessive du système immunitaire associé à l’intestin. Celui-ci joue un rôle clé pour renforcer le rôle barrière des cellules épithéliales et éviter l’entrée de micro organismes. A l’inverse, son activation excessive peut conduire à la destruction des cellules épithéliales et, de ce fait, à une malabsorption chronique sévère. C’est le cas par exemple de la maladie coeliaque induite par l’ingestion de gluten chez des individus prédisposés.
- Des défauts d’absorption peuvent être observés dans plusieurs maladies génétiques rares : certaines maladies affectent l’expression ou la fonction de l’un des transporteurs présents dans la bordure en brosse, et provoquent ainsi une malabsorption sélective de la molécule transportée et une diarrhée congénitale chlorée. Ces maladies peuvent généralement être contrôlées par l’adaptation d’un régime.
Certaines mutations affectent de façon profonde la différenciation des cellules épithéliales et provoquent des défauts d’absorption sévères et difficilement traitables.
- C’est le cas notamment des mutations qui empêchent la formation de la bordure en brosse et provoquent « la maladie des inclusions microvillositaires »
- Parmi ces mutations, certaines touchent le gène STXBP2 qui est nécessaire à l’expression de la protéine Munc 18-2). Ces mutations sont aussi la cause de la maladie de Lymphohistiocytose Familiale de type 5 aussi observée chez les patients
- Des mutations ont aussi été décrites dans trois autres gènes :
- le gène Myo5B qui code pour une molécule motrice qui permet d’acheminer vers le pôle apical des cellules épithéliales, les vésicules transportant les composants de la bordure en brosse
- le gène STX3 qui code pour une moléculei fonctionnant en tandem avec STXBP2 pour permettre la fusion des vésicules avec la bordure en brosse et ainsi sa formation.
- un nouveau gène est en cours de caractérisation par les équipes de N. Cerf-Bensussan et G. Michaux.
Quel traitement existe-t-il aujourd’hui pour pallier à la malabsorption intestinale liée aux maladies génétiques qui affectent la différenciation des cellules épithéliales et de leur bordure en brosse (STXBP2, Myo5B, STX3...) ?
NCB et GM : Les solutions thérapeutiques sont très limitées et peu satisfaisantes.
- La première est la nutrition parentérale qui consiste à utiliser la voie intraveineuse pour compenser les pertes en eau et en électrolytes (souvent massives) et apporter les nutriments qui ne peuvent être absorbés. Cette solution, indispensable à la survie des patients, est très contraignante et peut présenter des incompatibilités avec une vie normale Elle est compliquée sur le long terme, en raison du risque infectieux et des difficultés pour conserver des veines accessibles aux perfusions.
- Ces difficultés ont conduit à développer la transplantation intestinale pour remplacer l’intestin malade par celui d’un donneur. Cette transplantation reste à ce jour très difficile, notamment en raison de la fréquence des rejets liée à la présence d’un système immunitaire très abondant dans l’intestin.
- Des travaux de recherche sont en cours pour tenter la correction des mutations par des approches pharmacologiques (ou molécules médicaments). C’est notamment l’objectif des travaux de recherche qui sont réalisés sur le gène STXBP2.
- D’autres approches de long terme visent à la correction du défaut génétique dans les cellules épithéliales et à l’utilisation de ces cellules corrigées pour reconstruire l’intestin.
Comment la recherche a permis de mieux comprendre et définir les anomalies entraînant un déficit d’absorption au niveau du système digestif ?
Les travaux fondamentaux sur les mécanismes contrôlant la différenciation des cellules épithéliales et l’absorption des nutriments ont représenté une base essentielle pour comprendre les conséquences des mutations.
Réciproquement, l’analyse des conséquences des mutations sur la différentiation et le fonctionnement des cellules épithéliales apportent de nouvelles informations sur le rôle des molécules concernées par les mutations.
Ces travaux permettent de mieux cerner les options thérapeutiques et de mettre en place des outils pour identifier des cibles thérapeutiques :
- les organoïdes intestinaux (constitution de mini-intestins à partir de cellules souches pluripotentes ou adultes) qui permettent récapituler (in vitro) les anomalies observées (in vivo) chez les patients
- des modèles animaux qui permettent de tester des solutions thérapeutiques (souris ? nématode ?)
Pouvez-vous expliquer quand et comment la recherche a permis de mettre en évidence les atteintes liées à Munc 18-2 ?
GM : Munc 18-2 a d’abord été liée à une maladie du système immunitaire. Chez certains patients, en plus du système immunitaire, la fonction d’absorption intestinale est également atteinte. On pensait que ce défaut d’absorption disparaîtrait après correction du système immunitaire par une greffe de moelle osseuse ; mais malheureusement cela n’a pas été le cas.
Des médecins de l’hôpital Necker et de l’Institut Imagine (équipe de Geneviève de Saint-Basile) ont alors commencé à s’intéresser à cet aspect particulier du diagnostic de défaut d’absorption intestinal chez ces patients : si la correction du système immunitaire n’améliore pas l’absorption intestinale, quelle est la cause de ce défaut ? En quoi l’absence de Munc 18-2 dans l’intestin affecte l’absorption ?
Pouvez-vous donner plus de détails sur les travaux que vous souhaitez mener sur la mutation génétique STXPB2 (Munc 18-2) ?
GM : Au cours d’une collaboration avec le Dr Geneviève de Saint Basile, spécialiste des maladies de type LHF et qui travaille à l’institut Imagine, nous avons pu contribuer à montrer que les atteintes intestinales dues à la perte du gène STXBP2 (et l’absence de la protéine Munc 18-2) sont très similaires à celle d’une autre maladie rare, la maladie des inclusions microvillositaires, due à la perte des gènes MYO5B ou STX3. Nous avons également participé à caractériser certains défauts de cette pathologie en collaboration avec le Pr Frank Ruemmele de l’Hôpital Necker.
Nous souhaitons donc nous appuyer sur les résultats obtenus sur la maladie des inclusions microvillositaires dans différents modèles animaux ou de culture cellulaire, pour mieux comprendre ce qui se passe au niveau de la bordure en brosse des cellules intestinales. Nous mettrons en culture des organoïdes (mini intestins formés à partir de cellules souches adultes) de souris contrôles ou n’exprimant pas la protéine Munc 18-2.
Nous essaierons ensuite de corriger les défauts observés en l’absence de Munc18-2, par une approche phamacologique, en ajoutant différentes molécules candidates, qui sont soit déjà connues pour la maladie des inclusions microvillositaires, soit identifiées comme molécules médicaments potentielles dans des modèles animaux. Ces molécules seront validées si elles peuvent restaurer la fonction de la bordure en brosse dans l’absorption des nutriments, une fonction qui ne peut pas être assurée en raison de l’absence de la protéine Munc 18-2.
Comment ces travaux de recherche permettront-ils d’améliorer la qualité de vie des patients touchés par la mutation génétique STXPB2 / Munc 18-2 ?
GM : Si nous identifions des molécules susceptibles de corriger les défauts de la bordure en brosse observés dans des organoïdes en culture, la première étape sera de valider ces résultats in vivo chez la souris et en culture dans des organoïdes intestinaux humains en nous appuyant sur les groupes de Nadine Cerf-Bensussan et Geneviève de Saint Basile à l’institut Imagine. Si les résultats sont positifs on pourra ensuite envisager de mettre en place un essai chez les patients mais cela reste pour le moment suspendu au succès de chacune des étapes énumérées ci-dessus.
À terme un tel traitement pourrait permettre d’améliorer l’absorption des aliments et donc de diminuer le recours à la nutrition parentérale.
Est-ce que les résultats de ces travaux bénéficieront à d’autres maladies rares digestives présentant les mêmes atteintes que Munc 18-2 ?
GM : Dans la mesure où le phénotype intestinal est très similaire au cours de la maladie des inclusions microvillositaires, quel que soit le gène muté, on peut espérer qu’un traitement bénéficiera à l’ensemble des patients. Plus largement, une telle approche pourrait être bénéfique pour d’autres maladies présentant des défauts d’absorption intestinale dus au moins partiellement à une bordure en brosse déficiente.
Cette interview a été réalisée par l’association LHF espoir, une association de patients qui vise à soutenir les patients atteints de Lymphohistiocytose Hémophagocytaire Familiale (LHF), ainsi que leur famille et de financer la recherche sur cette maladie rare de déficit immunitaire.