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Tout commence en 1963 quand deux pédiatres américains, Fred Rosen et James Bougas, rapportent le cas d’une femme de 37 ans souffrant d'infections récurrentes et de bronchectasies - dilatations des bronches - sévères depuis 10 ans.
Une maladie du système immunitaire
Il faudra attendre 1975 pour que l’analyse des caractéristiques cliniques et biologiques de 37 membres de la famille sur trois générations paraissent. Y sont identifiées des anomalies au niveau de la réponse immunitaire, ce système censé nous protéger contre les infections, chez 12 membres de la famille, bien que seuls trois d'entre eux présentent des infections récurrentes. De plus, 10 membres de la famille présentaient des taux élevés d'immunoglobulines IgM, les anticorps produits par l’organisme en réponse à une infection, et sept de faibles taux d'IgG, d'IgA ou des deux.
Cette analyse basée sur l’immunohistochimie sur trois générations suggérait que la déficience en anticorps avait un mode de transmission autosomique dominant, ce qui signifie qu’il suffit que l’un des gènes, celui hérité de la mère ou du père, soit muté pour que la maladie survienne. En 1979, ce type de maladie est alors nommé "syndrome hyper IgM" (HIGM).
60 ans pour découvrir l’origine génétique
« En combinant les données issues de l'étude de 1975 avec les informations plus récentes, nous avons montré que 15 membres de la famille souffraient d’infections respiratoires récurrentes - généralement à la fin de l'enfance ou au début de l'âge adulte », note Sven Kracker, directeur de recherche CNRS dans le laboratoire de lymphohématopoïèse humaine dirigé par Isabelle André à l'Institut Imagine.
Son laboratoire décide alors de séquencer l’ensemble de l’exome, soit toutes les parties du génome exprimées en vue de produire des protéines, d’un des membres de cette famille atteint du syndrome hyper IgM.
Le séquençage a dans un premier temps mis en évidence la présence d'une mutation chez cette personne qui a ensuite été retrouvée chez six autres membres de la famille qui souffraient tous d'infections récurrentes. Cinq de ces sept individus présentaient le syndrome hyper IgM. « Il s’agit d’une mutation R190X dite non-sens, décrit Sven Kracker. Le remplacement d’une seule lettre du code génétique empêche la transcription complète du gène en protéine. Il s’ensuit la production d’une protéine tronquée ne pouvant pas remplir les fonctions qui lui sont assignées et qui, de plus, interagit avec la protéine normale présente, ce qui altère le fonctionnement d’une partie du système immunitaire et l’empêche de remplir complètement ses fonctions. En 2005, Anne Durandy, directrice de Recherche Inserm émérite et membre du laboratoire avait déjà décrit en 2005 l'effet délétère de cette mutation. »
Depuis 1963 où Rosen et Bougas ont utilisé les méthodes immunochimiques disponibles pour caractériser ce que l'on appelait la "dysgammaglobulinémie", les avancées technologiques n’ont cessé de mieux caractériser cette pathologie. Dans les années 70, les progrès en immunologie ont permis d’identifier quels types de globules blanc, les lymphocytes T ou B, sont impliqués. Ensuite ce fut au tour de la génétique de venir apporter son éclairage sur cette maladie rare et d’en trouver l’origine génétique ouvrant la voie à une possible recherche de traitement. D’un point de vue plus général, c’est l’ensemble des déficits immunitaires primaires qui a bénéficié de cette succession de progrès, puisqu’à ce jour, plus de 400 gènes ont été impliqués dans cette famille de maladie, et ce nombre augmente de façon exponentielle chaque année.
Néanmoins, il reste encore beaucoup à découvrir pour comprendre les 350 déficits immunitaires primaires distincts dénombrés à ce jour, et ainsi améliorer la prise en charge des quelques centaines d’enfants qui naissent chaque année avec cette maladie et des milliers de personnes concernées rien qu’en France.