L’Incontinentia Pigmenti, une maladie rare de la peau, qui prédispose également aux infections virales

L’incontinentia pigmenti (IP) est une maladie génétique rare, retrouvée quasi-exclusivement chez les femmes. Elle est caractérisée par des atteintes cutanées dès l’enfance, parfois associée à des atteintes neurologiques et oculaires. Cette maladie est désormais identifiée comme un facteur de risque pour le développement de certaines infections virales sévères. En effet, le Laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses a récemment analysé, dans une cohorte de 131 patientes atteintes d’IP, la fréquence d’auto-anticorps neutralisant les interférons de type I (IFN-I), dont la présence est déjà connue pour être responsable d’un risque accru de formes graves d’infections par les virus de la grippe, du Covid-19, de l’encéphalite à tique, le West Nile virus, ou par le vaccin contre la fièvre jaune.
Ces travaux, rendus possibles notamment grâce au soutien et à la participation de l’Association IP France et de la Filière Santé Maladies Rares Dermatologiques (FIMARAD), ont également mis en évidence que le thymus, un des organes clés du système immunitaire, était affecté dans l’IP.

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Rapportés pour la première fois en 1981 chez une patiente atteinte d’une varicelle grave, les auto-anticorps neutralisant les IFN-I ont ensuite été identifiés chez une grande variété de patients. Le laboratoire de Génétique Humaine des maladies infectieuses, à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université Paris Cité), co-dirigé par le Pr Jean-Laurent Casanova et le Dr Laurent Abel, a montré qu’ils sont présents chez environ 1% de la population générale, avec une augmentation significative après l’âge de 65 ans. Pendant longtemps, ces auto-anticorps ont été considérés comme cliniquement silencieux, notamment en termes de susceptibilité aux infections virales. Toutefois, cette perception a changé ces dernières années, lorsque l’équipe, ainsi que d’autres laboratoires, a découvert que ces auto-anticorps étaient responsables d'environ 15 % des cas de pneumonies graves liées au SARS-CoV-2 (COVID-19), 20% de décès de COVID-19, de 25% de formes graves de COVID-19 chez des patients pleinement vaccinés contre le SARS-CoV-2, de 25 % des hospitalisations dues au syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), d’environ 5 % des cas de pneumonie grippale potentiellement mortelle, de 35 % des cas d'effets indésirables graves après vaccination par le vaccin vivant atténué contre la fièvre jaune , de 40 % des cas d'encéphalite causée par le West Nile virus, et de 10% des cas d’encéphalite à tique.

Parmi les premiers patients décrits avec des auto-anticorps neutralisant les IFN-I et des formes sévères de COVID-19 lors de la première vague en 2020, une femme atteinte d'IP avait été identifiée. L'IP est une maladie génétique rare (1 cas/ 10,000 - 100,000), identifiée quasi-exclusivement chez les femmes, causée par des variations génétiques de type perte de fonction du gène IKBKG/NEMO, défauts génétiques identifiés en 2000 par des équipes de l’hôpital Necker-Enfants malades. Chez ces patientes, l'IP se manifeste par des anomalies des tissus dérivés de l'ectoderme, tels que la peau, les yeux, les dents, les cheveux, les seins, les ongles, et le système nerveux central (SNC). Les formes graves de la maladie sont associées à des lésions vasculaires entrainant des complications ophtalmologiques et neurologiques, qui surviennent le plus souvent dans la petite enfance. De manière générale, en l’absence de séquelles neurologiques ou ophtalmologiques, les femmes adultes atteintes d'IP sont en bonne santé.

Dans le cadre d’une étude dont les résultats ont récemment été publiés dans Journal of Experimental Medecine, le Laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses à l’Institut Imagine a étudié une cohorte de 131 patientes atteintes d’IP issues de 10 pays différents, pour évaluer la fréquence et les taux d’auto-anticorps neutralisant les IFN-I chez ces patientes. Les auteurs ont ainsi mis en évidence la présence de ces auto-anticorps chez 40% des femmes de la cohorte, une fréquence bien supérieure à celle observée dans la population générale.

A ce jour, toutes les maladies génétiques dans lesquelles ont été retrouvées ces autoanticorps ont en commun d’avoir une anomalie d’un organe, le thymus, qui est impliqué dans l’éducation des cellules immunitaires à tolérer le soi. Les auteurs ont donc analysé par IRM les thymus des patientes présentant ces auto-anticorps : les patientes IP ont un thymus de taille inférieure à celui de la population contrôle, et la structure des thymus IP suggère une sénescence prématurée, bien que les niveaux de production résiduelle de lymphocytes T restent normaux. Ces résultats ont été confirmés par l’observation de thymus de modèles murins d’IP, présentant les mêmes altérations de taille et de structure.

Il apparaît donc que chez les patientes atteintes d’IP, la peau, l’œil, mais aussi le thymus sont des organes touchés par la maladie. Dans le cas du thymus, la sénescence prématurée de l’organe favorise la production d’auto-anticorps anti-IFN-I. Ces résultats établissent un lien entre l’IP et la susceptibilité accrue à certains virus. Il est donc recommandé aux patientes atteintes d’IP de se vacciner, notamment avec le vaccin antigrippal annuel et le vaccin anti-COVID-19. Plus largement, ces travaux mettent en lumière l’importance d’identifier les facteurs génétiques, biologiques, ou physiologiques qui pourraient influencer la susceptibilité individuelle aux infections.

 

 

Référence :

Incontinentia pigmenti underlies thymic dysplasia, autoantibodies to type I IFNs, and viral diseases

J Rosain et al., JExp Med, 2024

doi: 10.1084/jem.20231152

 

Corresponding authors :

Jérémie Rosain

Jean-Laurent Casanova