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En 2014, un jeune garçon de 13 ans suivi à l’Hôpital Necker Enfants Malades AP-HP pour une forme sévère de drépanocytose recevait la toute première thérapie génique. Quelques années plus tard, en mars 2017, l’équipe du professeur Marina Cavazzana, pédiatre, directrice du département de biothérapie de l’hôpital Necker-Enfants Malades et directrice du Centre d’Investigation Clinique en Biothérapie, affilié à l'Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université de Paris) et spécialiste mondiale de cette thérapie innovante publiait dans la revue New England Journal of Medicine les premiers résultats clinques très encourageants de cette approche [1]. Après plus d’un an de traitement, le jeune patient ne souffrait plus de crises douloureuses et n’avait plus besoin de transfusion sanguine pour alléger ses symptômes. Sa vie a ainsi pu reprendre un cours normal.
« Aujourd’hui, après sept ans de suivi, l’efficacité du traitement persiste sans effet secondaire délétère notable », se réjouit Pr. Marina Cavazzana, Et ce succès n’est pas un cas isolé. En effet, dans de deux nouvelles études parues dans la revue britannique Nature Medicine, Pr. Marina Cavazzana et ses équipes présentent les résultats prometteurs du suivi à long terme de cohortes de patients traités par thérapie génique.
La thérapie génique contre la drépanocytose et la bêta-thalassémie
Dans le premier essai clinique [2], promu par bluebird bio, les patients sont atteints de drépanocytose et de β-thalassémie, des maladies génétiques affectant l’hémoglobine, principal constituant des globules rouges. Ces deux pathologies sont induites par une mutation du gène codant la ß-globine, protéine constitutive de l’hémoglobine. Dans le cas de la drépanocytose – la plus fréquente des maladies génétiques, avec 350 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année dans le monde – l’hémoglobine mutée se rigidifie et les globules rouges prennent la forme de faucilles qui obstruent les vaisseaux sanguins. Ce phénomène donne lieu à des crises extrêmement douloureuses, des anémies sévères et un risque accru aux infections, avec une perte de fonction progressive des organes. Dans le cas de la β-thalassémie, le gène muté engendre un déficit de production de β-globines, provoquant des anémies sévères.
Pour ces deux maladies, le seul traitement curatif actuel est la greffe de cellules souches hématopoïétiques (à l’origine des cellules sanguines), prélevées dans la moelle osseuse du donneur. Toutefois l’impact curatif de cette approche est limité par le manque de disponibilité de donneurs compatibles : on n’en trouve que dans 25% des cas environ. Il existe donc des traitements pour réduire la douleur des patients drépanocytaires, notamment la transfusion sanguine, qui consiste à remplacer ponctuellement le stock de globules rouges malades par des globules rouges sains, les chélateurs du fer pour réduire sa surcharge, et des antidouleurs. Problème : ces traitements réguliers sont lourds et ciblent les conséquences et non les causes de la maladie qui par ailleurs progresse avec une atteinte sévère des organes.
Une alternative est donc la thérapie génique. Celle-ci vise à modifier un gène ou à insérer un nouveau gène dans l’ADN de cellules souches des patients. Cette manipulation génétique consiste à utiliser un transporteur, en l’occurrence un vecteur lentiviral mis au point par Pr Philippe Leboulch*, capable d’acheminer une nouvelle séquence génétique jusqu’au noyau de la cellule. Cette nouvelle séquence s’intègre alors au génome, avant d’être traduite puis transcrite en hémoglobine saine. « Nous avons évalué les bénéfices à long terme de cette approche sur 7 patients de l'Hôpital Necker Enfants-Malades. Parmi eux, 4 étaient atteints de bêta-thalassémie, et 3 de drépanocytose, dont le patient de 2014 », détaille Marina Cavazzana.
Résultat : 6 des 7 patients ont complétement guéri de leur anémie chronique et de tous les symptômes associés : douleur des crises vaso-occlusives dans le cas de drépanocytose, avec une correction du métabolisme du fer. « Les patients traités par thérapie génique n’ont plus besoin de transfusion sanguine et ont cessé tous les médicaments anti-douleurs : il y a donc une guérison clinique et biologique. Cela prouve bien que la thérapie génétique peut représenter une solution alternative dans le cas où ces patients manquent d'un donneur HLA compatible », se félicite le Pr Cavazzana.
La thérapie génique contre le syndrome de Wiskott-Aldrich
Dans la seconde étude, les équipes du Pr Cavazzana, à Paris, et du Pr Thrasher, à Londres, ont obtenu le même succès dans le syndrome de Wiskott-Aldrich, un déficit immunitaire primaire affectant les globules blancs [3]. Cette maladie est due à une mutation du gène WAS qui engendre un défaut de la protéine WASp, indispensable à la migration, la prolifération et l'activation cellulaire. Résultat : le système immunitaire des patients est bien présent mais la fonction des lymphocytes T, B et NK (Natural Killer) ainsi que des cellules dendritiques est fortement altérée, ce qui entraîne des infections, et dans les cas les plus sévères de l’auto-immunité. De plus cette maladie présente un risque hémorragique important avec des saignements spontanés pouvant entrainer le décès des patients, dus à des thrombocytopénies sévères.
Dans l’essai clinique conduit en parallèle à l’Hôpital Necker-Enfants Malades et au Great Ormond Street Hospital (Londres), les 8 patients inclus présentaient tous une forme très sévère de la maladie et n’étaient pas éligibles à la greffe de moelle osseuse, d’où leur inclusion dans cet essai clinique de thérapie génique. Résultat : les effets à long terme (médiane de 7,6 ans) sont très encourageants.
En effet, en intégrant une nouvelle séquence génétique codant une protéine WASp saine dans des cellules hématopoïétiques (précurseurs des cellules sanguines, y compris immunitaires) des patients, les médecins sont parvenus à corriger les principaux symptômes de la maladie, notamment l’eczéma et les infections sévères ; et à améliorer les hémorragies et l’auto-immunité. « Tous les patients traités ont vu leurs épisodes de saignement diminuer de façon significative, explique Marina Cavazzana. Toutefois, chez 5 patients, le nombre de plaquettes sanguines est restée sous les valeurs de normalité. Pour le reste, nos travaux prouvent que la reconstitution de l'immunité lymphocytaire T et B est très bonne. Et nous n’avons constaté aucun effet adverse à long terme lié à la thérapie génique ».
Ce résultat clinique est d’autant plus prometteur que l’un des patients inclus dans la cohorte était un adulte d’une trentaine d’année qui a pu, lui aussi, reconstituer son immunité cellulaire, avec une production de cellules T naïves et un thymus fonctionnel. « Cela prouve que même chez les adultes avec une longue histoire de la maladie, on peut obtenir une correction à travers cette stratégie », se réjouit la scientifique. De nouvelles études sont d’ores et déjà en cours pour continuer d’optimiser les effets à long terme de ce procédé de thérapie innovante.
[1] J.A. Ribeil et al., N Engl J Med, 376, 848-855, 2017.