Publié le
Pourquoi ce double cursus de médecin-chercheur ? Qu’est-ce que cela vous apporte dans votre pratique quotidienne ?
En tant que clinicien, je suis amené à suivre de jeunes patients atteint de maladies rénales. Certains d’entre eux souffrent d’une pathologie que l’on appelle le syndrome néphrotique, qui dans 10% des cas, est totalement résistant aux traitements immunosuppresseurs. Pour la plupart, ces patients évoluent lentement vers l’insuffisance rénale chronique, et rentrent dans un projet de greffe rénale à plus ou moins long terme. Essayer de retrouver l’origine génétique de leur maladie permet à la fois de proposer un diagnostic, et d’essayer de comprendre les mécanismes conduisant d’une mutation sur un gène à l’apparition de l’expression clinique de la maladie (en l’occurrence le syndrome néphrotique génétique). C’est le cheminement dans cette compréhension des maladies qui permettra peut-être un jour de proposer un traitement conservateur adapté à chaque patient.
Au cours de mon internat, j’ai donc effectué un Master 2 de Génétique dans l’équipe de Corinne Antignac, une pionnière de la génétique des syndromes néphrotiques, puisqu’elle a été la première en 2001 à mettre en évidence l’origine génétique d’un syndrome néphrotique cortico-résistant. C’est à l’issue de ce Master2 que j’ai décidé de poursuivre mes travaux de recherche dans le laboratoire. Je suis d'abord parti me former à la modélisation animale des maladies rénales, plus précisément chez le poisson-zèbre. Pour cela, j’ai eu l’opportunité de travailler dans le laboratoire du Pr Iain Drummond au MGH à Boston (Etats-Unis), qui est un grand spécialiste dans l’étude des maladies rénales chez le poisson-zèbre.
Comment passe-t-on d’un univers à l’autre ?
Au sein d’imagine, c’est courant : nombre de médecins sont également chercheurs et vice-versa. En science fondamentale, je pense qu’il est crucial de pouvoir bénéficier d’un temps 100% dévolu à la recherche. La difficulté est de trouver un financement permettant de ne se consacrer qu’a la recherche pendant une période donnée. Travailler dans un laboratoire d'Imagine m’a permis de bénéficier du programme Santé-Science (MD-PhD) soutenu par la Fondation Bettencourt Schueller : il est destiné à soutenir de jeunes médecins ou pharmaciens dans leurs projets de recherches, dans le cadre d’une thèse de sciences. Par chance, ce financement était parfaitement compatible avec le projet à Boston.
Au sein d’imagine, c’est courant : nombre de médecins sont également chercheurs et vice-versa. En science fondamentale, je pense qu’il est crucial de pouvoir bénéficier d’un temps 100% dévolu à la recherche.
Comment avez-vous décidé de l’orientation de vos recherches ?
A mon retour de Boston, Corinne Antignac m’a parlé de cette famille, que je connaissais déjà puisqu’ils sont suivis dans le service de néphrologie de Necker. On soupçonnait fortement une origine génétique à la maladie dans cette famille. Encore fallait-il en faire la preuve. L’analyse de l’exome (NDLE : partie du génome constituée par les exons, c'est-à-dire les parties des gènes qui sont exprimées pour synthétiser des protéines) du cas index de cette famille a permis de mettre en évidence une mutation présentant des scores de pathogénicité élevés dans le gène TBC1D8B. Grâce à un programme de partage de données européen, nous avons pu identifier un autre patient, à Bristol en Grande Bretagne, qui présentait une maladie similaire, et était porteur d’une autre mutation dans le même gène.
C’est alors que nous avons entrepris des études fonctionnelles, à la fois in vivo et in vitro, pour prouver la relation de cause à effet entre les mutations sur ce gène et la maladie diagnostiquée chez les patients. Nous avons pu mettre en évidence un phénotype similaire chez le poisson-zèbre présentant une invalidation de ce gène précis : ce modèle est donc dépourvu de la protéine – appelée TBC1D8B – codée par le gène muté chez les patients. Dans un modèle cellulaire, nous avons montré que la protéine TBC1D8B interagit avec une famille de protéines appelées Rab qui régule le trafic vésiculaire intracellulaire. Plus précisément, l'altération de TBC1D8B empêche l’inactivation de Rab11b entraînant une défaillance de l’amorçage du recyclage vésiculaire à la membrane cellulaire. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’il s’agit d’un mécanisme cellulaire dont les altérations n’avaient encore jamais été décrite dans le syndrome néphrotique, ouvrant donc la voie à de nouvelles découvertes. Ces avancées font l’objet d’une publication dans American Journal of Human Genetics et seront au cœur de ma thèse de science.
D’ores et déjà, ce gène va s’ajouter au panel des gènes analysés chez les patients atteints de syndrome néphrotique cortico-résistant. Certains patients verront ainsi leur diagnostic se préciser, et dans les familles présentant un variant délétère de ce gène, un conseil génétique pourra être proposé afin d’identifier si d’autres membres de la famille sont susceptibles de transmettre le variant. C’est déjà une première victoire.