Drépanocytose : des thérapies géniques innovantes testées avec succès in vitro

Dans une étude publiée dans la revue Molecular Therapy, l’équipe d’Annarita Miccio, directrice du laboratoire « Chromatine et régulation des gènes au cours du développement », à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université de Paris), décrit trois approches reposant sur l’utilisation de vecteurs lentiviraux combinés à la technologie CRISPR-Cas9 dans le cadre de la drépanocytose.

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Accélérer la recherche

Avec 350 000 nouveaux patients diagnostiqués chaque année dans le monde, la drépanocytose est la plus fréquente des maladies génétiques. Elle est causée par une mutation du gène de la globine β, une des protéines constitutives de l’hémoglobine, principal composant des globules rouges. « Dans les petits vaisseaux sanguins – où l’oxygène se raréfie – cette hémoglobine mutée est sujette à un phénomène de polymérisation : elle entraine la rigidification du globule rouge qui prend alors la forme d’une faucille », explique Sophie Ramadier, post-doctorante dans le laboratoire « Chromatine et régulation des gènes au cours du développement », dirigé par Annarita Miccio. De ce fait, les globules rouges obstruent localement la circulation sanguine, provoquant des crises extrêmement douloureuses appelées crises vaso-occlusives. Les patients présentent également des anémies sévères, une sensibilité accrue aux infections et une perte de fonction progressive de leurs organes.

Aujourd’hui, le seul traitement curatif contre la drépanocytose est la greffe de moelle osseuse par un donneur compatible. La plupart du temps, il s’agit d’un frère, d’une sœur, d’un membre de la famille ou d’un donneur trouvé sur une banque nationale. Malheureusement, les probabilités de trouver la bonne personne restent faibles. Le cas échéant, une alternative lourde est l’échange transfusionnel de sang qui permet de remplacer les globules rouges drépanocytaires par des globules rouges sains, reconstituant ainsi temporairement un stock d’hémoglobine saine. Une autre voie explorée par les médecins de l’AP-HP et les chercheurs de l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université de Paris) est la thérapie génique. En 2017, l’équipe du Pr. Marina Cavazzana, pédiatre, directrice du département de biothérapie et directrice du Centre d'Investigation Clinique en Biothérapie à l'hôpital Necker-Enfants Malades AP-HP, a ainsi pu guérir le tout premier patient drépanocytaire par thérapie génique. Depuis, une cinquantaine de patients ont été traités avec cette approche avec de bons résultats pour 60% à 70% d’entre eux.

Des vecteurs viraux fondés sur les ciseaux moléculaires CrispR-Cas9 

Le principe ? Limiter l’effet délétère du gène muté en intégrant un nouveau gène dans des cellules souches de patients. En pratique, les scientifiques utilisent un vecteur viral – en l’occurrence, un lentivirus – dans lequel a été introduit une séquence génétique codant une globine β saine. En présence des cellules souches du patient, ce vecteur pénètre dans le noyau où il va s’insérer et exprimer la nouvelle séquence saine. « De ce fait, les cellules produisent des globines β saines qui, en s’associant à des globines α, forment une hémoglobine adulte fonctionnelle, précise Sophie Ramadier. Le gène défectueux continue d’être exprimé en parallèle, mais ce n’est pas forcément un problème. En effet, la globine α a une meilleure affinité avec la globine β saine qu’avec son homologue pathologique, ce qui augmente la probabilité de former de l’hémoglobine adulte saine ».

Dans une nouvelle étude parue dans la revue Molecular Therapy, l’équipe d’Annarita Miccio a mis au point trois nouveaux vecteurs viraux afin d’augmenter l’efficacité de ce procédé [1]. Ces trois vecteurs possèdent tous une séquence génétique codant une globine β contenant non pas une mais trois mutations anti-drépanocytaire (ou AS3). « Dans le premier vecteur, nous avons introduit ce gène de globine βAS3 associé à la technologie CRISPR-Cas9 permettant de « couper » très précisément le gène de globine β muté, responsable de la maladie », précise Sophie Ramadier, première auteure de ces travaux. Un moyen de diminuer voire d’abolir l’expression du gène muté et donc de limiter le phénomène de polymérisation, favorisant ainsi l’expression de l’hémoglobine AS3 thérapeutique.

Rétablir la production d'hémoglobine fœtale en réactivant un gène silencieux

Les deux autres vecteurs viraux contiennent aussi la séquence codant la globine βAS3, couplée à la technologie CRISPR-Cas9, mais dans le but cette fois-ci de cibler très finement certaines zones de l’ADN afin de réactiver un gène normalement silencieux. Il s’agit du gène codant la globine ɣ, une protéine qui, lors du développement du fœtus, permet la formation d’une hémoglobine fœtale parfaitement fonctionnelle. Le principe de ces deux vecteurs est donc de réactiver la production de cette globine normalement remplacée à la naissance par l’hémoglobine adulte. L’utilisation de ces deux vecteurs va donc permettre d’exprimer à la fois l’hémoglobine AS3 thérapeutique et l’hémoglobine fœtale, favorisant la production d’hémoglobine anti-drépanocytaire pour contrer la formation de l’hémoglobine mutée.

Dans des expériences menées in vitro sur des cellules souches de patients, ces nouveaux vecteurs ont montré, à dose égale, une meilleure efficacité que les vecteurs utilisés aujourd’hui en clinique. Bien que ces résultats fondamentaux soient encore très préliminaires et qu’ils doivent prouver leur efficacité in vivo, ils sont prometteurs pour l’avenir de la thérapie génique contre la drépanocytose.

[1] S. Ramadier et al., Molecular Therapy, https://doi.org/10.1016/j.ymthe.2021.08.019, 2021.