Décryptage de l’origine génétique des troubles du développement du langage chez les enfants sans déficience intellectuelle, autisme ou apraxie de la parole

Les troubles sévères et spécifiques du développement du langage (TDL) sont observés chez les enfants qui présentent des difficultés de langage résistantes à la rééducation, non associées à un trouble du spectre autistique, à une déficience intellectuelle, ou à une surdité. Il s’agit d’une entité très difficile à classifier, à cause de sa grande hétérogénéité clinique et des différentes terminologies utilisées pour les décrire. Grâce à une équipe multidisciplinaire regroupant des orthophonistes, des neuropsychologues, des neuro-pédiatres et des généticiens, une cohorte de patients présentant cette forme rare de troubles spécifiques du langage a pu être établie et suivie par le Centre du langage et des apprentissages de l’hôpital Raymond Poincaré à Garches en collaboration avec le laboratoire de Génétique des Troubles du Neurodéveloppement dirigé par Vincent Cantagrel à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université Paris Cité) et le service de médecine génomique des maladies rares de l’hôpital Necker. Cette collaboration a permis un phénotypage fin des caractéristiques cliniques de chaque patient avec pour objectif de déterminer la potentielle origine génétique de ce type de troubles sévères et rares.
L'identification de cas familiaux, retrouvés chez plusieurs générations, a conforté la piste d’une origine génétique chez les patients. L’analyse génétique des patients de la cohorte a permis de distinguer plusieurs gènes pour lesquels des mutations pourraient expliquer l’apparition de cette pathologie.
Pour la première fois, ce travail de recherche, soutenu par les « Amis Entrepreneurs d’Imagine » (voir plus bas), établit une définition très fine des troubles du développement du langage, non liés à d’autres troubles ou pathologies neurologiques, et identifie des facteurs génétiques pour ce type de troubles sévères d’apprentissages.

Les troubles de développement du langage (TDL) concernent des enfants qui présentent des difficultés persistantes de langage, qui affectent de manière significative les interactions sociales ou les progrès scolaires, impactant significativement et durablement leur qualité de vie jusqu’à l’âge adulte. Par définition, le TDL n'est pas associé à une cause biomédicale identifiée (comme une lésion cérébrale ou une maladie neurodégénérative), à une surdité, à un trouble du spectre autistique (TSA) ou à une déficience intellectuelle (DI). Toutefois, il arrive que le TDL soit associé à d'autres comorbidités telles que le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH), la dyslexie développementale ou les problèmes de coordination.

Des troubles du langage sont retrouvés chez 7 à 8 % de la population, 2 % si l'on considère les formes sévères et durables qui nous intéresse dans ce travail. 

Si les troubles du langage peuvent avoir une origine multifactorielle, avec des facteurs socioculturels et éducatifs, de nombreux éléments laissent à penser quil existe une origine génétique. En effet, les « vrais » jumeaux présentent des taux de concordance plus élevés pour ces troubles que les « faux » jumeaux dizygotes, et des cas familiaux de difficultés d'acquisition du langage, présents chez plusieurs générations au sein dune même famille, sont également fréquemment observés. Néanmoins, l'hétérogénéité clinique des TDL, la présence fréquente dautres troubles et les différentesterminologies utilisées pendant de nombreuses années ont freiné le diagnostic et la recherche  sur cette pathologie, empêchant également une bonne prise en charge.

Clothilde Ormières sest intéressée à une cohorte particulière de patient TDL, dabord dans le cadre de son projet de thèse de médecine, puis dans le cadre dun projet de recherche plus large, sous la direction de Vincent Cantagrel et Valérie Malan, du laboratoire Génétique des Troubles du Neurodéveloppement à lInstitut Imagine. Cette cohorte homogène est faite de patients atteints de TDL, sans amélioration après rééducation, sans TSA, DI ou autre pathologie associée. Son approche basée sur des études génomiques des patients ainsi identifiés a eu pour objectif de mieux définir la base moléculaire de ce trouble.

Les critères diagnostiques stricts appliqués par l’équipe multidisciplinaire, comprenant des orthophonistes, des neuropsychologues et des neurologues pédiatriques, ont permis d’établir une cohorte de 27 patients, en collaboration avec lhôpital Necker-Enfants malades AP-HP, et les centres de référence de Garches et de Genève.

Le suivi de ce groupe de patients a permis lidentification de plusieurs variations génétiques probablement à lorigine des TDL : par exemple, un variant de séquence pathogène dans le gène ZNF292, gène déjà connu pour être impliqué dans des cas de DI et TSA, ou encore des variations du nombre de copies de gènes, comme la microdélétion dune partie du chromosome 15, ou la duplication dune partie du chromosome 16.

Les chercheurs soulignent également une expressivité variable des symptômes pour une même mutation, qui est probablement expliqué par des facteurs supplémentaires, tels que l'épigénétique et des facteurs environnementaux.

Les résultats suggèrent que les cas sporadiques de TDL sont souvent liés à des mutations « de novo », non transmises par les parents. Par contre, la majorité des cas familiaux reste actuellement non résolue et semble impliquer des facteurs de susceptibilité. Le TDL est un trouble complexe, et ces observations démontrent limplication de facteurs génétiques partagés avec ceux impliqués dans les TSA et les DI. Il était donc critique davoir une cohorte dont l’évaluation clinique était rigoureuse pour pouvoir tirer cette conclusion et définir lexistence de facteurs génétiques commun pour ces troubles qui sont pourtant différents (!

Le centre de référence des troubles du langage de lpital Raymond Poincaré avec l’équipe de la Dr Emilie Schlumberger a joué un rôle important de par son expertise, et au sein du laboratoire de recherche, la Dr Marion Lesieur-Sebellin et Karine Siquier-Pernet ont mené une grande partie des analyses génétiques.

Ces travaux, rendus possibles grâce au soutien dEric Perrier, Directeur Général de VISEO, et des Amis Entrepreneurs dImagine, constituent néanmoins une première, à la fois par l’établissement dune définition fine et précise des TDL, et par la mise en évidence dun lien prouvé entre lorigine génétique des troubles du langage et celle des TSA et DI. Cette meilleure compréhension des causes moléculaires du TDL permet denvisager une prise en charge plus adaptée pour des patients dont les troubles ne peuvent pas encore être améliorés par la rééducation existante. Ce travail ouvre aussi à la porte à des études génétiques supplémentaires pour un groupe de patients qui n’était pas ou peu étudié jusque-là.

 

Référence :

Deciphering the genetic basis of developmental language disorder in children without intellectual disability, autism or apraxia of speech

C Ormieres et al., Molecular Autism, 2025

doi: 10.1186/s13229-025-00642-8

 

Corresponding author :

Clothilde Ormières, MD 

Valérie Malan, MD, PhD

 

A propos des Amis Entrepreneurs d’Imagine

Initiée par Eric Perrier, CEO de VISEO, l’initiative du réseau des Amis Entrepreneurs d’Imagine a vu le jour pour soutenir un ambitieux programme de recherche dédié aux troubles du neurodéveloppement et de l’apprentissage, afin d’en découvrir les origines génétiques. Aujourd’hui, ce collectif d’entrepreneurs engagés et fidèles, dont Nicolas Doucerain, Fondateur et Président de VALUMEN, continue de se renforcer et d’apporter un soutien essentiel à cette cause.