Une méthode innovante pour caractériser chaque cellule individuellement

Notre corps est constitué de milliards de cellules qui ont des fonctions qui leur sont propres, nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. Caractériser l’ensemble de ces cellules très hétérogènes est capital pour comprendre leur fonctionnement et pouvoir identifier l’origine moléculaire de maladies génétiques dans certaines cellules, et ainsi, mieux les comprendre et les traiter. Soutenu notamment par l’Agence Nationale de Recherche (ANR) dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir, et par Christian Dior Couture, le laboratoire de Bioinformatique clinique dirigé par le Dr Antonio Rausell (Université de Paris, Inserm, AP-HP) au sein de l’Institut Imagine, a développé une méthode permettant d’extraire de manière automatisée les signatures moléculaires et génétiques, et ainsi de générer une carte d’identité propre à chaque cellule individuellement. Les détails de ce logiciel en open source sont publiés dans la revue Nature Biotechnology, suite à 4 ans de travaux de thèse menés par Akira Cortal.

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Accélérer la recherche

En quoi consiste cette nouvelle méthodologie ?

Akira Cortal, premier auteur de la publication : Dans notre laboratoire, nous cherchons à concevoir des méthodes pour explorer et caractériser l’hétérogénéité des cellules de l’organisme, dans le but d’identifier celles qui peuvent être impliquées dans l’apparition et la progression d’une maladie. Pour pouvoir caractériser l’ensemble des cellules, il est nécessaire de mettre en évidence les signatures moléculaires et fonctions cellulaires propres à chacune d’entre elles. Dans ce but, l’analyse de l’ARN cellulaire, dite analyse transcriptomique, permet d’identifier les gènes qui sont utilisés par les cellules d’un tissu ou d’un organe à un instant donné.

Chaque cellule contient une grande diversité de molécules d’ARN, mais en quantité très faible. Il est donc difficile d’y détecter les signaux moléculaires spécifiques à chaque cellule, c’est-à-dire un sous-ensemble de molécules qui leur est propre et exclusif et qui se retrouve brouillé dans une sorte de bruit de fond. Des approches numériques sont nécessaires pour distinguer ces signaux. Jusqu’ici, même si les nouvelles technologies permettaient de séquençer l’ARN à l’échelle de la cellule individuelle, l’analyse des données ne pouvait se faire de façon robuste que de façon agrégée pour des sous-groupes de cellules (dites clustérisées).

Dans ce travail, nous avons créé une méthode d’analyse de données à partir de séquençage unicellulaire, qui tire de manière automatisée des informations pour chaque cellule individuellement, tout en tenant compte de l’hétérogénéité globale.

C’est une vraie révolution au niveau de l’analyse single-cell. On extrait une signature des gènes spécifique à chaque cellule, une « empreinte moléculaire » ou carte d’identité pour chacune, appelée Cell-ID.
 

Akira Cortal

Quelles nouveautés apporte-t-elle en matière d’analyse cellulaire ?

Cette méthodologie comporte trois nouveautés principales. Elle permet d’abord d’identifier de façon automatique le type cellulaire de chaque cellule (par exemple, s’agit-il d’une cellule sanguine, et si oui, s’agit-il par exemple d’un monocyte, d’un lymphocyte T ou un neutrophile parmi une grande diversité de types). Deuxièmement, elle permet de caractériser leur état cellulaire (par exemple, si la cellule montre des signes de stress, inflammatoires, ou d’activation de certaines voies métaboliques ou de signalisation). Aussi, il est dorénavant possible de cartographier des cellules une par une ce qui permet d’identifier des nouveaux types cellulaires ainsi que des états cellulaires qui peuvent être retrouvés reproduits chez différents individus qui partagent des symptômes cliniques, tandis qu’on ne les observe pas, ou dans une moindre intensité, chez les individus sains. Enfin, les cartes d’identité cellulaire permettent désormais de constituer des librairies de référence qui peuvent être utilisées pour scanner de nouveaux patients et établir des ressemblances entre cellules de différents organes ou modèles animaux.

Antonio Rausell : Ces signatures permettent une reconnaissance non biaisée de l'identité cellulaire entre différents donneurs, tissus d'origine, organismes modèles et technologies omiques unicellulaires. Elles enrichissent les bases de données des types et états cellulaires, et peuvent permettre d’identifier les cellules impliquées dans des pathologies et d’en comprendre l’évolution. C’est un niveau très fin d’analyse single-cell et un réel avantage pour caractériser des cellules rares que nous ne pourrions pas identifier en analysant des sous-groupes de cellules.

Quelles perspectives offre-t-elle ?

En plus des nouvelles possibilités et de la finesse d’analyse single-cell qu’elle permet, la méthodologie offre de réelles perspectives cliniques pour les maladies rares. Comprendre la signature cellulaire à l’origine des maladies est une étape cruciale pour la compréhension des mécanismes moléculaires sous-jacents et proposer un éventuel traitement.
 

Antonio Rausell, directeur du laboratoire de bioinformatique clinique

Nous utilisons d’ores et déjà cette méthode dans le cadre de l’analyse d’immunodéficiences graves héréditaires et dans le domaine de la thérapie génique, en étroite collaboration avec la Dr Emmanuelle Six, chercheuse du laboratoire de Lymphohématopoïèse Humaine de l'Institut Imagine et la Professeure Marina Cavazzana, Directrice du département de biothérapie et thérapies innovantes  de l'Hôpital Necker-Enfants Malades AP-HP, et responsable du CIC de Biothérapie de l’Institut Imagine. Nous étudions pour les greffes, dans un contexte de thérapie génique, les facteurs qui vont permettre ou non de reconstituer les cellules endommagées, et donc le succès de la thérapie génique.

Le logiciel Cell-ID est disponible en open source. Ainsi, la méthodologie est ouverte et à la disposition de toute la communauté scientifique afin qu’elle puisse bénéficier au maximum de chercheurs et médecins, et in fine, aux patients.

Retrouvez les détails dans Nature Biotechnology : https://rdcu.be/cjFWE