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La néphronophtise, une ciliopathie rénale, principale cause génétique d’insuffisance rénale chez l’enfant
Les ciliopathies ont en commun un dysfonctionnement des cils primaires, des antennes sensorielles cellulaires enrichis en capteurs (récepteurs). Ces cils se trouvent à la surface de presque toutes les cellules de l’organisme, ils perçoivent des signaux (facteurs de croissance, morphogènes, lumière, flux urinaire, etc…) leur permettant d’analyser l’environnement extérieur et ainsi de coordonner les réponses cellulaires au cours du développement et le bon fonctionnement des tissus chez l’adulte. Ils sont présents notamment sur les cellules du rein, du foie, du cartilage, les cellules visuelles de la rétine, les neurones, et contrôlent le fonctionnement de ces organes. Si le spectre des manifestations cliniques des ciliopathies est large, une des manifestations les plus fréquentes et la cause principale de mortalité, est la détérioration de la fonction rénale évoluant inévitablement vers l’insuffisance rénale terminale nécessitant la transplantation rénale.
Concernant environ 1 naissance sur 50 000, la néphronophtise (NPH) est la première cause génétique d’insuffisance rénale terminale chez l’enfant et le jeune adulte. Elle peut être isolée ou associée à des anomalies extra-rénales, notamment une dystrophie rétinienne (syndrome de Senior-Loken), des anomalies du cervelet (syndrome de Joubert), des anomalies du squelette (Syndrome de Jeune) et/ou des défauts de latéralité.
Identifier les causes génétiques et comprendre les mécanismes physiopathologiques
L’équipe de recherche « Bases moléculaires des maladies rénales héréditaires », dirigée par le Dr Sophie Saunier à l’Institut Imagine, est spécialisée depuis plus de 20 ans dans l’étude des ciliopathies rénales, et notamment de la néphronophtise (NPH). Composée de chercheurs experts en génétique, en biologie cellulaire et en physiopathologie, et de médecins néphrologues et généticiens, l’équipe a identifié en 1997 le premier gène (NPHP1) dont les mutations sont la cause principale la NPH. Sur la base d'importantes cohortes de patients issues d’un réseau clinique multicentrique, et grâce au développement d'approches innovantes de séquençage d’exome, l’équipe a depuis participé directement ou en collaboration à la découverte de 13 des 23 gènes NPHP connus à ce jour. La plupart de ces gènes codent pour des protéines localisées au niveau du cil primaire, mettant en évidence le rôle majeur de celui-ci dans ces maladies. Les mutations présentes chez les patients conduisent à des défauts de formation et/ou de fonction des cils, confirmant le rôle clef des NPHP dans ces processus. Pour en savoir plus.
La NPH, comme les autres ciliopathies, est une maladie génétiquement très hétérogène (23 gènes NPHP) et à ce jour, aucune mutation génétique n’a pu être identifiée chez 30% des patients. En utilisant des approches de séquençage du génome à haut débit, des études fonctionnelles et des modèles pré-cliniques in vitro et in vivo, l’équipe de Sophie Saunier espère identifier de nouveaux gènes NPHP, ou de nouveaux types de mutations, et mettre en évidence les voies de signalisation cellulaires dérégulées à l’origine de la NPH et des autres manifestations associées dans les formes syndromiques (rétine, foie, etc...).
Développer des approches thérapeutiques
Le seul ‘traitement’ possible de la NPH est la dialyse puis, inévitablement, la transplantation rénale. L’objectif du laboratoire est donc d’identifier de nouvelles pistes thérapeutiques en ciblant les voies de signalisation altérées dans les cellules des patients, par l’utilisation de molécules capables de pallier à ces défauts biologiques. L’identification de molécules déjà approuvées et utilisées pour d’autres pathologies permettrait d’accélérer la mise en place d’essais thérapeutique pour la NPH. En parallèle, une approche complémentaire de l’équipe cherche à identifier, grâce au criblage d’un grand nombre de molécules, des composés qui seraient capables de restaurer des cils fonctionnels dans les cellules de patients. Les modèles cellulaires et animaux développés par le laboratoire jouent un rôle majeur dans cette stratégie. Les cellules tubulaires rénales prélevées dans les urines de patients ont ainsi permis d’identifier certaines molécules aux propriétés intéressantes qui seront ensuite testées dans des modèles animaux tels que le poisson-zèbre et la souris, ainsi que les cultures d’organoïdes générés à partir de cellules souches induites des patients (mini reins générés in vitro).
Les études récentes ont ainsi permis de caractériser une molécule prometteuse capable de restaurer les défauts ciliaires des cellules de patients NPHP1 et les défauts rénaux et rétiniens dans un modèle de souris mutantes. Cette molécule, développée en collaboration avec la start-up Medetia, hébergée à l’Institut Imagine, pourrait entrer en essai clinique en 2024. Pour en savoir plus. Cela constitue un véritable espoir pour les patients. De plus, la fonction du cil étant très similaire dans les différents organes, l’équipe espère pouvoir restaurer à la fois les fonctions rénales, rétiniennes et hépatiques avec une même molécule, comme observé chez la souris.
Trouver des marqueurs de diagnostic et pronostic
Un autre objectif majeur de l’équipe est d’identifier des biomarqueurs, à la fois de diagnostic et de pronostic. A l’heure actuelle, il reste difficile de détecter les premiers signes de la NPH, qui peut passer inaperçue pendant des années, de prédire si une atteinte rénale va être développée par des patients porteurs d’une autre atteinte (visuelle ou squelettique), et quand les premiers signes de la NPH sont observés, quand le patient va entrer en insuffisance rénale terminale. Des analyses dites multi-échelles ou omiques permettent d’analyser sur les différents modèles disponibles l’expression des gènes et des protéines ainsi que les métabolites sécrétées par les cellules ou présents dans les urines ou dans le sang. Ceci pourrait permettre de disposer d’indicateurs de la présence d’une mutation d’un gène NPHP, d’une signature pré-symptomatique de la fonction rénale et de marqueurs de suivi de la dégradation de la fonction rénale, et ainsi, de proposer des traitements. Des biomarqueurs de réponse au traitement sont aussi en cours de développement, notamment grâce aux modèles in vitro générés à partir de cellules de patients. Les recherches menées au sein du laboratoire couvrent une approche globale visant à mieux comprendre les mécanismes des maladies, diagnostiquer et repérer les patients à risque d’atteinte rénale, et permettre leur suivi.
Vers la médecine du futur pour les ciliopathies avec atteinte rénale
L’Institut Imagine concentre une expertise unique au monde sur les ciliopathies en rassemblant des spécialistes de ces pathologies, notamment dans le domaine du rein, des yeux, des os, et de la bioinformatique et la science des données*.
Dans ce contexte, l’Institut et l’équipe de recherche dirigée par Sophie Saunier coordonnent à Imagine le projet RHU (Recherche Hospitalo-Universitaire – Programme Investissements d’Avenir) C’IL-LICO « Médecine du futur pour les ciliopathies avec atteinte rénale ». Ce programme vise à développer des approches innovantes et révolutionnaires en matière de diagnostic, de pronostic et de traitement personnalisé pour les patients souffrant de ciliopathies, en particulier des ciliopathies entraînant une insuffisance rénale. Il s'appuie sur des technologies informationnelles disruptives (intelligence artificielle), des approches expérimentales de pointe (organoïdes rénaux dérivés de cellules souches induites de patients, multi-omiques, criblage à haut-débit) et des ressources cliniques développées depuis plusieurs années.
Le programme est conduit par un consortium qui réunit un réseau unique de cliniciens, de biologistes et d'informaticiens de l'Institut Imagine, de l'Inserm, de l'APHP, des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et de l'École Polytechnique. Pour en savoir plus.
* Plusieurs équipes à l’Institut Imagine et l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP travaillent sur les ciliopathies, notamment l’équipe du Dr Sophie Saunier, du Dr Jean-Michel Rozet, du Pr Valérie Cormier-Daire, des Pr Tania Attié-Bitach et Dr Sophie Thomas, la plateforme de Data Science de Nicolas Garcelon, le laboratoire de Bioinformatique clinique du Dr Antonio Rausellet la plateforme bioinformatique de Patrick Nitschké