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L’histoire de la médecine regorge de cas cliniques qui ont permis des avancées spectaculaires dans la compréhension de la biologie humaine. L’étude d’un petit nombre de patients, voire d’un patient unique, peut en effet mettre en lumière la fonction d’une entité biologique, conduire à l'identification des voies cellulaires et moléculaires impliquées dans la maladie et à en préciser le mécanisme physiopathologique. Autant d’étapes indispensables à la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques et à la mise en place de traitements ciblés. Cette approche est au cœur de la démarche expérimentale du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses, co-dirigé par Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, à l’Institut Imagine (Inserm, AP-HP, Université de Paris). Depuis la création de leur laboratoire en 2000, leurs équipes ont ainsi pu identifier et décrire de nombreux circuits essentiels à la réponse du système immunitaire à divers agents infectieux (virus, bactéries, champignons) en se fondant sur l’étude et la description de patients atteints de mutations monogéniques.
Une hypothèse pionnière
Dans une revue de la littérature publiée le 26 novembre dans le journal américain Science, le duo de chercheurs fait le point sur plus de deux décennies de découvertes sur les prédispositions génétiques aux infections virales [1]. « Nous savons que l’exposition à un virus est une condition nécessaire mais pas suffisante pour tomber malade », rappelle Laurent Abel. Cette variabilité entre les individus représente une énigme pour les scientifiques. Mais plusieurs verrous sont sur le point de sauter. Dès les années 1990, les deux scientifiques ont émis l’hypothèse que certaines formes sévères d’infections virales s’expliquent par une altération de l’immunité causée par des défauts monogéniques. Une idée pionnière perçue à l’époque avec un certain scepticisme par la communauté scientifique, devenue aujourd’hui un nouveau paradigme.
Il faut dire que les preuves scientifiques n’ont eu cesse de s’accumuler ces dernières années comme en témoignent les 68 études citées dans cette revue de la littérature. Les chercheurs y répertorient une cinquantaine de mutations expliquant la survenue de formes sévères consécutives à diverses infections virales. « Les organes les plus touchées sont le cerveau, les poumons et la peau, précise Laurent Abel. La plupart du temps les conséquences d’une telle infection sont bénignes mais elles peuvent être désastreuses chez les patients présentant ces mutations ».
Citons ici quelques exemples, comme les encéphalites pédiatriques dues à une infection au virus de l’herpès (présent chez la majorité de la population) [2], les pneumonies sévères après une infection par des virus respiratoires tels que Influenza (la grippe) ou plus récemment le SARS-CoV-2 (la COVID-19), ou encore le syndrome de l’homme-arbre après une infection au papillomavirus.
Vers une nouvelle biologie
« Notre démarche consiste à partir de la génétique : nous identifions les mutations monogéniques à l’origine de ces formes sévères. À partir de cela nous caractérisons tout le circuit de la réponse immunitaire et de l’inflammation qui peut en résulter, ce qui nous permet ensuite de comprendre quelle étape a été mise à mal par la mutation », explique Laurent Abel. En 2015, les chercheurs avaient ainsi identifié, chez un patient atteint d’une forme sévère de la grippe, une mutation du gène IRF7 [3]. Celle-ci entraînait un défaut de production d’interférons (IFN) de type 1, première barrière immunologique contre les infections virales. Grâce à cette découverte, les équipes de Jean-Laurent Casanova et de Laurent Abel ont pu faire le rapprochement avec les pneumonies sévères observées dans le cadre la pandémie de COVID-19 : certains patients atteints de ces formes graves présentaient cette même mutation du gène IRF7.
La génétique est comme une boussole dont l'aiguille nous indique quelle voie biologique il faut regarder et quel rouage du mécanisme pourrait être altéré
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En effet, l’étude de ces anomalies génétiques a aiguillé les chercheurs dans l’identification d’autres défauts de fonctionnement affectant eux aussi la voie des IFN de type 1 chez des patients sévères sans mutation. Ces derniers présentaient en revanche une quantité anormale d’auto-anticorps neutralisant l’action des IFN de type 1. « En caractérisant la voie moléculaire des IFN de type 1, nous avons ainsi pu identifier d’autres types de défauts et élucider environ 20% des formes graves de la COVID-19 [4], explique Laurent Abel. La génétique est comme une boussole dont l'aiguille nous indique quelle voie biologique il faut regarder et quel rouage du mécanisme cellulaire ou moléculaire pourrait être altéré dans les formes graves ». La compréhension des anomalies génétiques rares peut donc s’étendre à des cas plus fréquents et ainsi bénéficier à un plus grand nombre de patients. Les chercheurs en sont persuadés, d'autres infections virales pourraient profiter d'approches génétiques similaires. Mieux :« [cette approche] est en train de donner naissance à une nouvelle biologie et à une nouvelle médecine » écrivent-ils dans Science.
[1] J-L. Casanova & L. Abel, Science, 374, 1080, 2021.
[2] 10.1126/science.112834610.1126/science.1139522